On a longtemps associé l’identité créole au catholicisme. Avec la forte croissance des Eglises évangéliques qui a marqué les Caraïbes depuis plus d’un demi-siècle, le tableau est plus nuancé. Le protestantisme francophone des Caraïbes a acquis aujourd’hui une certaine visibilité internationale. Dans l’hexagone, il est notamment repéré via ses productions éditoriales, son hymnologie, ses stars de la chanson chrétienne (Jessica Dorsey) et son expertise en matière de créolisation : alors que la métropole ne fait que découvrir, depuis trente ans, les enjeux posés par l’immigration et l’interculturalité, l’espace créole connaît ces problématiques et y réfléchit depuis bien plus longtemps ! Jusqu’à une date récente, il manquait cependant au tableau une interface académique de poids, dans les Caraïbes, qui puisse échanger avec les institutions de formation protestantes de l’hexagone.

Un institut pour les Antilles et la Guyane

C’est peut-être aujourd’hui chose faite avec la création d’une nouvelle institution de formation d’expression protestante, évangélique et francophone. Son nom ? L’ITEAG, Institut de Théologie Evangélique des Antilles et de la Guyane, avec pour slogan « Une formation de qualité pour un service efficace »[1]. Fraîchement créé en 2016-2017, basé en Guadeloupe (commune Les Abymes), il propose pour l’heure quatre sessions de formation de 34H (chacune) par an, avec pour objectif de monter en puissance. Les débuts sont modestes, mais l’équipe se prévaut d’un haut degré de formation, à l’image de son président, le sociologue Jean-Claude Girondin, auteur d’une thèse à l’EPHE, et de son directeur pédagogique, le professeur Alain Nisus, ancien professeur de dogmatique à la Faculté Libre de Théologie Evangélique de Vaux-sur-Seine et auteur d’un doctorat en théologie à l’Institut Catholique de Paris. Tous deux sont auteurs de nombreux ouvrages et disposent d’une expérience académique largement reconnue. Bien entourés, Jean-Claude Girondin et Alain Nisus voient large : l’objectif, au-delà de la Guadeloupe, est d’atteindre les Caraïbes et la Guyane, mais aussi de développer des relations fructueuses avec un large réseau d’institutions de formation rattachées au protestantisme évangélique de la francophonie.

Il est bien trop tôt pour évaluer la portée exacte de cette création. Une chose est sûre : elle marque un chemin parcouru, et signale une « montée en régime » des protestantismes évangéliques des Caraïbes et de la Guyane, désormais capables de mutualiser leurs forces en vue d’une formation commune au service des Eglises locales, et plus largement de la francophonie protestante.

Il y a quelques années, Philippe Chanson rédigeait un article documenté mais très virulent consacré aux « néo-protestantismes créoles » des Antilles et de Guyane[2]. Pointant à juste titre certains enjeux délicats, comme celui de l’autoritarisme des pasteurs, il dénonçait entre autre « des micro-sociétés chrétiennes fonctionnant en circuit fermé ». Mais en forçant le trait, sans faire crédit aux Eglises étudiées leur capacité de réforme, de délibération et de mise en réseau, il n’avait pas anticipé cette évolution : loin du « circuit fermé » (qu’on observe parfois sur le terrain), l’ITEAG témoigne des nouveaux horizons mutualistes qui stimulent aujourd’hui des Eglises évangéliques créoles en pleine maturation.

[1] Le site internet de l’ITEAG est :

[2] Philippe Chanson, « Les néoprotestantismes créoles des Antilles et de la Guyane françaises : entre paradoxes et interrogations », dans Histoire et missions chrétiennes, 2007/2, Khartala, p.177-188.