Troisième article de notre série sur le Québec.

Au début du XIXe siècle, le protestantisme francophone entre Québec et Montréal est moribond, en dépit d’une tutelle coloniale anglophone désormais favorable aux héritiers de la Réforme. Sur les terres québécoises, le catholicisme est massivement reconnu comme ciment identitaire francophone. Le protestant est perçu comme l’autre, l’anglophone, le nouveau maître. Des forces vives des premiers huguenots de Nouvelle France, il ne reste rien, ou presque.

Un premier Réveil (seconde moitié du XIXe siècle)

Ces forces vont pourtant se réveiller. À partir de 1834, des missionnaires français et suisses, portés par la vague initiée depuis le Réveil de Genève, s’installent au Québec. En dépit d’une résistance catholique qui se dresse vent debout contre le prosélytisme protestant, colporteurs et évangélistes font peu à peu leur oeuvre, Bible française en main. Une société missionnaire franco-canadienne (1839-1880), largement financée par des soutiens anglophones, appuie ces efforts. Jean-Louis Lalonde a retrouvé trace de ces pionniers dans la ville de Québec, tels André Solandt (à partir de 1846) et son prédécesseur Emile Lapelletrie. La conversion controversée d’un prêtre catholique, Charles Chiniquy (1809-1899), aide beaucoup[1]. Il multiplie les conférences, explique et décrit ce qu’il considère être les dérives cléricales et dogmatiques d’une Église qu’il juge trop éloignée de l’Évangile pour être crédible. Son anticatholicisme virulent finit cependant par desservir la cause protestante, qui peine à progresser vraiment.  En 1858, des baptistes commencent également à œuvrer en terre québécoise, via Léon Normandeau. De petites communautés naissent, et des paroisses et Églises locales se mettent en place.

L’église presbytérienne française de Québec, rue Saint Jean, inaugure son temple tout neuf en novembre 1877. En 1894, cette paroisse francophone comporte quatorze familles, « alors que les communiants, eux, passeront de 34 à 50″[2]. Fondée par Henriette Feller (1800-1868), missionnaire suisse venue au Québec dès 1837 avec Louis Roussy, une première Union Baptiste, ancêtre de l’Union d’Églises baptistes françaises au Canada (fondée en 1969) est aussi mise en place. L’Armée du Salut s’implante par ailleurs discrètement à partir de 1883. Il y a multiplication des initiatives, mais peu de résultats. La francophonie protestante reste extrêmement réduite, et l’élan prosélyte du temps des Feller et Chiniquy retombe au début du XXe siècle, ouvrant la porte à une étape de routinisation qui va durer plus d’une génération.

Routinisation et petites paroisses (jusqu’aux années 1960) 

Jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale, les instances protestantes au Canada cessent progressivement de miser sur la francophonie. On compte 86 missionnaires protestants francophones au Québec en 1881. Quarante ans plus tard, alors que la population québécoise francophone a assez fortement augmenté, le montant des missionnaires a lui baissé, atteignant péniblement le montant de 70[3]. En 1925, l’Église Unie du Canada est mise en place à Toronto. Elle regroupe l’essentiel de l’Église presbytérienne du Canada, de l’Église méthodiste du Canada, du Conseil général des églises de l’Union et de l’Union congrégationnelle du Canada, de moindre importance démographique. À cette date, il n’existe plus de paroisse réformée francophone à Québec. Une présence baptiste francophone demeure quant à elle, mais elle est très réduite. Quant aux presbytériens francophones, ils sont contraints de rejoindre des paroisses anglophones. Jean-Louis Lalonde fait observer que « pendant soixante ans, les francophones de la ville de Québec qui partageaient les principes protestants de cette Église ont dû célébrer leur culte avec les anglophones au déni de leur propre identité ».

Durant cette période, alors que les dénominations protestantes les plus anciennes tendent à décliner, les protestants évangéliques francophones commencent au contraire à progresser, dans un contexte où la contestation fondamentaliste marque tout le protestantisme nord-américain. Le baptisme québécois, notamment, est fortement marqué par cette controverse. Il donne alors naissance à de nouveaux réseaux transatlantiques, dont la filière du Toronto Baptist Seminary fondé par TT. Shields, où plusieurs pasteurs baptistes français viennent se former (dont Frédéric Bühler et plus tard Paul Appéré). Ces évolutions restent assez anecdotiques : la francophonie protestante québécoise, jusqu’aux années 1970, reste limitée à quelques cercles confidentiels.

Second Réveil  et essor évangélique (depuis les années 1970) 

Depuis les années 1970, la tendance à l’essor évangélique s’accélère. Dans un contexte marqué par la Révolution tranquille, la libéralisation de la société québécoise et un lent effondrement de l’emprise sociale du catholicisme, la Vieille Province change. Alors que des affirmations nationalistes se manifestent, sur fond de revendications francophones exacerbées, un nouveau protestantisme francophone de type évangélique s’affirme de plus en plus nettement, au travers d’une multiplication de petites Églises locales et d’une diversification des réseaux existants.

Bien qu’on manque de recul pour en évaluer la portée, il n’est sans doute pas abusif de parler d’un second Réveil protestant, sur un mode principalement évangélique. Ses effets continuent à se faire sentir à l’entrée du XXIe siècle. Le pentecôtisme, notamment, effectue une arrivée remarquée, avec l’implantation du Carrefour Chrétien de la Capitale (1972) à Québec. Les réseaux baptistes, y compris indépendants, se développent, ainsi que de nouveaux cercles charismatiques, tandis qu’une Faculté évangélique est mise en place à Montréal à partir de 1986, portée par le professeur Amar Djaballah, devenu doyen en 1992.

 

[1] Richard Lougheed, La Conversion controversée de Charles Chiniquy, Éditions La Clairière, Québec, 1999, 322 p.

[2] Jean-Louis Lalonde, « 400 ans de protestantisme de langue française à Québec », Bulletin de la SHPFQ n°25, sept 2009, p.6.

[3] Jean-Louis Lalonde, Des loups dans la bergerie, Fides, 2002, p. 191.