Le Québec est aujourd’hui identifié comme catholique et francophone. Pourtant, la Belle Province a été marquée, avant même son origine officielle, par une présence protestante et francophone substantielle. Les huguenots étaient sur le terrain. Et ces pionniers ont contribué à bâtir la Nouvelle France.

Grâce aux travaux de plusieurs historiens, à commencer par Jean-Louis Lalonde, le meilleur spécialiste actuel du protestantisme francophone au Québec, on sait aujourd’hui qu’à la fondation de la ville de Québec en 1608, les huguenots étaient nombreux, peut-être même majoritaires, bien que relativement discrets. Cette forte présence d’artisans, négociants, militaires francophones de confession protestante ne survenait pas ex nihilo. Une petite musique protestante se jouait en effet outre-Atlantique depuis une soixantaine d’années, à partir de la mise en place du processus (erratique) de colonisation.

Jusqu’en 1627, date de l’expulsion des Huguenots de Nouvelle France, les protestants, tels Pierre Chauvin, ont joué un grand rôle dans le commerce de la fourrure… vital pour la colonie. Au XVIe siècle, les protestants de France n’ont pas peur du large, de l’horizon, des grands espaces. « Pour Dieu, la Cause et les Affaires », ils n’hésitent pas à traverser l’Atlantique et défricher les nouveaux territoires, du Canada au…. Brésil[1]. Sait-on que Henri de Navarre, futur Henri IV, a encouragé la guerre maritime à l’encontre des « papistes » avant son accession au trône ? Sait-on que des centaines de huguenots ont exercé un rôle clé dans l’aventure canadienne à partir des années 1540 ?

L’Atlantique traversée en chantant des ‘marotes’

Rappelons que le premier voyage de colonisation a été l’initiative de Philippe de Chabot, un huguenot, alors gouverneur de Bourgogne et de Normandie. Jacques Cartier, bien que lui-même catholique, était probablement issu d’une famille protestante. A partir de 1534-35, il explore le Saint-Laurent à la recherche d’un passage vers l’Ouest, à moins qu’il ne trouve de l’or. Le roi François 1er l’appuie jusqu’en 1540-41, puis la faveur royale se porte sur un autre. Quand la première colonie s’est établie à Cap-Rouge, près du site actuel de Québec, en 1540, elle est l’oeuvre de Jean-François de la Rocque, sieur de Roberval, un huguenot ruiné qui voit là l’occasion du rachat. Cette colonie sera cependant abandonnée en 1543. Mais ce protestant français, successeur de Cartier et chef d’expédition, a laissé une marque. Bien d’autres sont restés anonymes. Combien étaient-ils ? L’historien Marc-André Bédard a estimé à 542 le nombre de protestants en Nouvelle-France pendant le régime français, dont un quart auraient été des prisonniers anglais. C’est peu. Mais il ne s’agit là que des noms que l’on a pu retrouver. Combien d’anonymes ? Par ailleurs, à l’échelle de l’époque, marquée par des initiatives coloniales fragiles en effectifs, plus de cinq-cent protestants, c’est déjà beaucoup. Jean-Louis Lalonde souligne que « dès le départ, catholiques et protestants font tous deux partie des expéditions. Les huguenots sont aussi présents sur les navires français et plusieurs passagers racontent que les protestants chantent leurs ‘marotes’, les psaumes mis en vers (1536) par Clément Marot et en musique par Claude Goudimel »[2].

On retrouve la trace de ces chanteurs à la foi réformée dans les documents d’époque à la charnière du XVIe et du XVIIe siècle, au moment où se met en place la colonisation française définitive sur le site de ce qui deviendra la ville de Québec.

Québec : sur onze gouverneurs, six protestants

Jean-Louis Lalonde rappelle aussi que sur onze gouverneurs qui se sont succédés entre 1540 et 1632, six (plus d’un sur deux) étaient protestants. Il s’agit de Roberval, Chauvin, De Chastes, Charles de Bourbon, Condé, et Louis de Kirke. L’illustre gouverneur Samuel Champlain était par ailleurs probablement d’origine protestante, bien que professant le catholicisme. Epoux d’Hélène Boulé, une protestante, Champlain n’a jamais mis à l’écart les huguenots, bien au contraire, puisqu’il a activement collaboré avec Pierre Dugua de Mons, gentihomme calviniste, dans la mise en place du projet de fondation de la ville de Québec. Dans un parc de cette métropole francophone se dresse d’ailleurs, depuis 2007, un monument et une plaque commémorative, qui soulignent « son importante contribution à l’implantation de la France en Amérique et à la fondation de Québec »[3].

Il ne faut pas tomber dans l’anachronisme : l’époque n’est pas au pluralisme religieux. La tutelle française, de confession catholique, a beau défendre, en principe, le modus vivendi mis en place par Henri IV en 1598, qui garantit par l’Edit de Nantes le droit de cité des protestants au Royaume de France, l’Église catholique reste très largement privilégiée. C’est la « sainte foy catholique », et elle-seule, que l’autorité royale entend faire valoir en priorité sur les nouveaux territoires où s’implante la France. Le rassemblement pour tout culte, autre que catholique, est regardé d’un mauvais oeil. Les protestants francophones de Nouvelle France sont certes bien présents, mais priés de ne pas faire de vagues, et de rester discrets. Jusqu’au moment où leur présence même ne sera plus tolérée.

 

[1] Mickaël Augeron, Didier Poton, Bertrand Van Ruymbeke, Les Huguenots et l’Atlantique. Pour Dieu, la Cause ou les affaires, Paris, presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2009.

[2] Jean-Louis Lalonde, Des loups dans la bergerie, Les protestants de langue française au Québec, 1534-2000, Montréal, Fidès, 2002, p.28.

[3] « Inauguration d’un monument en l’honneur de Pierre Dugua de Mons à Québec », bulletin Mémoires vives, n°22, octobre 2007.