La chanteuse noire américaine Mahalia Jackson, aux 35 albums enregistrés, n’est pas seulement considérée universellement comme la « reine du Gospel ». Elle était aussi une protestante baptiste à la réputation de grande piété chrétienne.
Premier volet (1/4) de la série Mahalia Jackson et la France
Née le 26 octobre 1911 à la Nouvelle Orléans (Louisiane, Etats-Unis) dans une famille nombreuse, Mahalia Jackson grandit dans un milieu social pauvre et résilient, marqué par la ségrégation. Elle perd sa mère à l’âge de 5 ans. Elevée par ses tantes, habituée des tâches ménagères et d’une vie « à la dure », elle se signale très tôt par une voix d’excellence, qu’elle exerce dans la chorale de la Plymouth Rock Baptist Church de la Nouvelle Orléans. Elle déménage à 16 ans, avec les siens, à Chicago (Illinois). Nous sommes en 1927, deux ans avant la Grande Dépression. Elle travaille comme domestique, puis crée une boutique de cosmétiques, tout en rejoignant la chorale de la Greater Salem Baptist Church de la ville.
Femme, noire, pauvre, elle vit sous les feux croisés d’une triple domination genrée, raciste et classiste : un cas d’école pour ce qu’on appelle aujourd’hui l’histoire intersectionnelle ! La jeune femme n’a pas l’intention d’endosser les habits de victime auxquels des regards extérieurs voudraient l’assigner. Disciplinée, volontaire, elle travaille dur et développe ses talents vocaux, qui font mouche. La voilà bientôt soliste. Au cours des années 1930, dans une Amérique traversée par une crise sociale sans précédent, elle se produit dans de nombreuses Eglises noires, chantant l’espérance chrétienne.
Elle se fait remarquer par le compositeur Thomas A. Dorsey (1899-1993), parfois considéré comme le « père de la musique Gospel ». Ce dernier la prend sous son aile, compose pour elle, l’accompagne au piano durant plus de 10 ans, et entreprend de la promouvoir, à la mesure du talent vocal exceptionnel de Mahalia Jackson. Il écrit notamment pour elle Take my Hand, Precious Lord, qui devint plus tard la chanson préférée du pasteur Martin-Luther King. En 1947, année où elle signe avec le label Apollo, elle se produit comme première soliste à la National Baptist Convention. Tentée par une carrière « séculière », elle refuse les sirènes d’un succès facile, ce que son biographe résume par cette expression qui la caractérise : une « pieuse intégrité »[1]. Fervente chrétienne, protestante, baptiste, elle entend chanter pour Dieu, seulement pour Dieu. La Bible est son répertoire privilégié, et son milieu porteur est celui du protestantisme évangélique des Black Churches, traversé par les luttes pour l’émancipation et l’égalité.
En 1948, son disque « Move On Up A Little Higher » popularise, comme jamais auparavant, la musique Gospel. On s’arrache cet enregistrement. Il est si convoité que les magasins ne parviennent pas à suivre la demande. Huit millions de copies du disque circulent et Mahalia Jackson bascule du rang de vedette de la musique d’Eglise à celui de star internationale, invitée dans les salles les plus prestigieuses.
1949 : rencontre décisive avec Hugues Panassié
C’est en mars 1949 que sa trajectoire ascendante rencontre la France, via la figure de Hugues Panassié (1912-1974). Président cofondateur du Hot club de France[2], immense spécialiste du jazz et critique musical avisé, Hugues Panassié, accompagné de Madeleine Gauthier et de son ami le jazzman Mezz Mezzrow, découvre Mahalia Jackson à New York. L’audition, dans les locaux du label Apollo, le bouleverse. Et pourtant, l’affaire de Panassié, c’est le jazz, pas le gospel ! Mais la qualité de l’interprétation, l’intensité émotionnelle exprimée et l’authenticité de la performance conduisent Panassié à ouvrir à Mahalia Jackson les horizons du public français. Charles Delaunay, autre figure fondatrice du Hot Club de France, joue aussi un rôle, plus discret et indépendant de celui de Panassié, dans la popularisation du répertoire Gospel de Mahalia Jackson en France[3].
Grâce à son prestige et son influence, Panassié fait diffuser Mahalia Jackson dans les émissions hebdomadaires de l’ORTF (radio télévision française). Quelques mois plus tard, il consacre à Mahalia Jackson un article élogieux dans le n°10/1949 de La revue du Jazz, où la chanteuse de Gospel apparaît en couverture[4]. C’est une sensation. Dès lors, « Mahalia avait son premier public entièrement blanc », et francophone de surcroît, souligne une autre de ses biographes, Laurraine Goreau[5]. Le public français, depuis longtemps amateur de « musique noire » (Spirituals, Jazz, Blues), s’attache à cette musique Gospel à nulle autre pareille. En mars 1951, la prestigieuse Académie Charles Gros lui décerne le Grand Prix du Disque pour le chant « I can put my trust in Jesus » / « Let the Power of the Holy Spirit Fall on me ». Cette reconnaissance majeure auprès du public français et francophone ouvrait la voix à une nouvelle étape: la venue de la cantatrice en France.
A suivre…
[1] Mark Burford, « Devout integrity », in Mahalia Jackson and the Black Gospel Field, Oxford University Press, 2018, p.27.
[2] Brillant connaisseur de la musique noire américaine, Hugues Panassié fonde le Hot club de France dès 1932, et publie deux ans plus tard Le Jazz hot, ed Corréa, 1934, préfacé par Louis Armstrong.
[3] Mark Burford, op. cit., p.173.
[4] La Revue du Jazz, n°10, décembre 1949. Cette revue, fondée par le Hot Club de France, est parue entre 1929 et 1952.
[5] Laurraine Goreau, Just Mahalia, Baby, The Mahalia Jackson Story, Pelican, 1984, p.125.