4e volet de notre série sur le Brésil.
Rattachée au laboratoire GSRL à Paris, Denise Goulart a consacré sa thèse de doctorat EPHE à une étude croisée de l’action missionnaire de “Jeunesse en Mission” en France et au Brésil.
Comment comparez-vous sécularisation et laïcisation au Brésil et en France ?
La diversité et la vitalité de la religion est frappante au Brésil. Cependant, le pays s’est en partie sécularisé. Flavio Sofiati, chercheur brésilien en France, observe que les processus de sécularisation et de laïcisation ont conduit à une diminution du nombre de catholiques dans les deux pays. Mais il montre que ces phénomènes ont eu des conséquences différentes. Dans le cas français, on observe un retrait politique et culturel du catholicisme. En France, la laïcité, le pluralisme religieux fonctionnent dans une société largement sécularisée, où il y a beaucoup d’athées.
Les Brésiliens adoptent quant à eux les modes de vie modernes, la sécularisation a un certain effet, mais sans abandonner la religion. La société brésilienne n’est pas radicalement religieuse, « enchantée », elle n’est pas non plus désenchantée. Elle est dans un entre-deux. Au Brésil, l’Etat et les institutions sont laïcisés juridiquement, mais les mentalités restent sous l’influence de la pensée religieuse.
Peut-on malgré tout parler de laïcité dans les deux pays ?
Si l’on parle de laïcité, on repère dans les deux pays une forme laïque « de reconnaissance et de dialogue », pour reprendre une expression de Jean-Paul Willaime. Mais elle opère différemment. Les partenariats possibles du côté brésilien correspondent à une forme de reconnaissance de la religion à travers des mécanismes juridiques qu’impliquent l’appareil et le pouvoir de l’État. Ces mécanismes confèrent à la religion un degré de légitimité sociale plus important qu’en France. Au Brésil, la religion est davantage présente dans la politique. Je vous cite un exemple : Lors de la procédure de destitution de la présidente Dilma Roussef en 2016, la majorité des discours des députés ont été prononcés au nom de la famille et surtout de Dieu -c’est particulièrement net du côté des députés évangéliques- au lieu d’un discours plus collectif et républicain.
Que représente la diaspora brésilienne en France ? A-t-elle ses réseaux protestants ?
Le Brésil est aujourd’hui un pays d’émigration et la France est une destination assez recherchée. Le pays continue cependant à recevoir des immigrants comme autrefois, mais le panorama a changé. Le consulat général du Brésil à Paris indique qu’il n’existe actuellement aucune statistique officielle précise concernant la présence de brésiliens sur le territoire. Lors du recensement effectué par l’Institut brésilien de géographie et de statistique, l’IBGE[1] en 2010, on estimait à environ 17.700 le nombre de Brésiliens vivant en France. Cela correspond à 3,6% du nombre total des Brésiliens qui résident à l’étranger, selon le même recensement. Les statistiques officielles du gouvernement français pour 2013, établies par l’Institut national de la statistique et des études économiques de France (INSEE), indiquent une communauté brésilienne composée d’environ 45.000 personnes. Le Ministère des Affaires Etrangères estime que sur les plus de 2 millions de brésiliens résidant actuellement à l’étranger, environ 60.000 vivraient en France.
L’appartenance religieuse et les réseaux construits par ces résidents brésiliens en France n’a pas encore été beaucoup étudiée mais il est certain que le maillage d’églises brésiliennes ne cesse de croître. Le caractère optimiste du peuple brésilien, qui se traduit dans les églises par des sociabilités chaleureuses et un enseignement tourné vers l’encouragement, aide à attirer les Français qui sont invités en général dans un cadre de proximité, de travail et même de voisinage. Les Brésiliens primo arrivants trouvent dans les réseaux protestants, surtout évangéliques, des sources de support spirituel mais également de travail. Plusieurs branches évangéliques brésiliennes sont implantés en France. C’est le cas aussi de l’EURD (Eglise Universelle du Royaume de Dieu), qui opère sous un autre nom et attire beaucoup de francophones.
Comment fonctionnent ces réseaux brésiliens en milieu francophone ?
J’ai commencé récemment à établir une étude de ces réseaux brésiliens en France pour connaître les profils des sujets engagés dans les églises brésiliennes. Je pourrai en dire plus prochainement. Ce que je peux déjà avancer c’est que le réseau d’entraide est assez important et les secteurs du ménage et de la conciergerie de location à court terme sont très répandus. L’analyse des communautés virtuelles (sur internet) et un court recensement m’aideront à trouver les chemins par lesquels passent les Brésiliens installés en France. Et à mieux comprendre leur engagement chrétien dans ce pays, que ce soit leur participation à des églises évangéliques, ou des groupements des fidèles réunis dans les maisons, dans le style « cellule ». Les Brésiliens présents ici apprennent le français, mais la langue natale reste aussi parlée dans les Églises brésiliennes implantées ici. Le panorama urbain, le réseau spirituel, de travail et de soutien et le fait d’être évangélique dans un pays sécularisé comme la France seront les points de départ de mon étude.
Quel regard portez-vous sur la francophonie protestante ?
Ce qui me tient à cœur en ce moment sur ce thème c’est le fait d’observer que les Brésiliens évangéliques installés depuis quelques années en France sont plus à l’aise avec la langue française. Du coup, ils trouvent un mi-chemin entre l’expression brésilienne de louange, de comportement, et l’expression francophone d’une spiritualité modelée par l’influence de la langue et du pays. La langue est le principal mécanisme de communication dans la convivialité humaine pour permettre des relations affectives et d’expression. Dans le cas des Brésiliens, connus pour le côté très émotionnel de leur communication, j’estime que l’immersion en sol français affecte leur manière d’être chrétien. Les relations de genre, de travail ou même la manière de vivre le culte protestant sont modifiés quand ils passent par le filtre de la langue et de la culture françaises.
[1] Site internet de l’Institut brésilien de géographie et de statistique : http://www.ibge.gov.br