Richard Macaire Lengo est un enseignant-chercheur congolais, auteur en 2021 d’une thèse de doctorat sur l’Église Évangélique du Congo. De passage en France avec le soutien du DEFAP, il nous en apprend plus sur son parcours, ses recherches, et partage son analyse au sujet de la francophonie protestante.
1/ Richard Macaire Lengo, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis aujourd’hui enseignant-chercheur, basé à Brazzaville (République du Congo). Je suis né en 1972 dans le Nord du Congo, à quelques kilomètres de la ville de Makoua, à Bokagna. Enfant et adolescent, je venais de temps à autre dans la capitale. Après l’obtention de mon baccalauréat en 1994, je me suis installé à Brazzaville. J’ai effectué une maîtrise en sociologie en 2001-02. A l’époque, un cycle doctoral n’avait pas encore été ouvert à l’Université. Franchir les étapes de la recherche a pris du temps. J’ai obtenu un master en 2012, puis un DEA, une fois le cycle doctoral ouvert. Il portait sur « Espaces littéraires, linguistiques et culturels ». Enfin, ma thèse de doctorat en sociologie sur la mutation de l’éthos protestant au sein de l’Église Évangélique du Congo a été soutenue en 2021 (Université Marien Ngouabi). Depuis, j’enseigne, et prépare la publication d’une partie de ma thèse de doctorat. J’ai un parcours particulier, pas linéaire.
2/ Où en êtes-vous actuellement au plan de l’enseignement et de la recherche ?
Je suis actuellement, depuis 2022, Maître assistant CAMES (Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement supérieur). Je suis sociologue de formation, mais pas que, parce que je me suis formé aussi en ressources humaines, ayant obtenu un Master 2 en ressources humaines. Je suis par ailleurs l’auteur de cinq articles scientifiques où j’ai publié seul, ainsi que l’auteur d’un article copublié avec un collègue, et disponible sur CAIRN (1). Par année, je donne environ 400 heures au niveau de l’Université publique Marien Ngouabi de Brazzaville, en même temps, j’enseigne également à l’Université protestante de Brazzaville, et à l’institut de formation de l’Église Évangélique du Congo (EEC). C’est à travers cette université que j’ai obtenu le financement du DEFAP, pour un congé de recherche. Je suis en ce moment à Paris, logé Bd Arago, et je saisis l’opportunité pour participer à des séminaires, journées d’étude, découvrir des équipes de recherche comme le laboratoire GSRL où je suis bien accueilli au Campus Condorcet, et pour travailler en bibliothèque. Je salue le rôle du DEFAP, qui travaille en collaboration avec les facultés de théologies. Je suis le premier laïc, non pasteur, à bénéficier d’un séjour de recherche financé par le DEFAP. J’ai obtenu une 1ère bourse, de décembre 2019 à février 2020, puis une seconde pour cette période septembre-novembre 2023. Actuellement, mon activité de recherche est surtout focalisée sur un projet de publication d’ouvrage universitaire, à partir d’une large portion de ma thèse. Je me consacre à la mise au point d’un manuscrit publiable, cela m’occupe ici à plein temps.
3/ Quel regard portez-vous sur le protestantisme au Congo Brazzaville aujourd’hui ?
Il faut partir de l’histoire, avec l’empreinte, dans l’histoire du Congo, du marxisme-léninisme, qui était fortement anticlérical. A l’époque, il y a eu des églises fermées. On avait autorisé seulement quatre Églises, l’Église Évangélique du Congo, l’Armée du Salut, l’Église catholique, et l’Église luthérienne. C’était une période dure, très compliquée à certains moments. Puis on arrive autour des années 1990 avec l’avènement de la démocratie multipartiste. Là, c’est comme si on libérait un peu tout, ça partait dans tous les sens, un grand mouvement de dérégulation, si bien que dans l’imaginaire collectif, la démocratie a été confondue avec le libertinage. On a permis à beaucoup d’églises de se créer, Jean-François Bayart en parle (2), cela a commencé dans les années 1980 déjà un peu, mais surtout dans les années 1990. Déçus des limites des Églises traditionnelles, beaucoup de fidèles sont partis et on rejoint à ce moment-là certaines Églises de Réveil, soit qui avaient déjà ouvert, soit créées par eux-mêmes. L’offre religieuse s’est diversifiée. La crise économique étant également là, au fur-et-à-mesure, on a instrumentalisé la création des Églises à des fins financières, avec tout ce que nous connaissons comme effets pervers aujourd’hui. Avec des pasteurs qui construisent leur légitimité en répondant aux souffrances des fidèles, mais qui se nourrissent aussi sur leur dos. C’est la marchandisation de Dieu décrite par Lionel Obadia (3). Je dois dire que dans certaines Églises de réveil, il y a de la rigueur et de l’intégrité quand même, on ne peut pas généraliser. Mais il y a beaucoup de dérives.
4/ Pouvez-vous donner un exemple de ces dérives ?
Des étudiants m’ont ainsi raconté que des pasteurs envoient un fidèle se rendre chez un autre fidèle dont le statut économique est reconnu. Il va faire discrètement une sorte de sondage, dans la maison de ce fidèle riche. Sa femme ? Le nombre d’enfants ? Les inquiétudes du moment ? Le fidèle revient ensuite faire le point chez le pasteur, qui mémorise ça. Et lorsque vient la consultation spirituelle avec le concerné (c’est-à-dire le fidèle économiquement favorisé), il va lui adresser un message de Dieu. ‘Le message de Dieu pour toi’. Avec des détails personnels. Le concerné pense que cela vient d’une révélation divine, sous l’inspiration de l’Esprit, il se trouve totalement émerveillé ! Alors que ces choses viennent d’un informateur, sans que l’intéressé le sache. On fait ainsi des enquêtes sur certains fidèles pour ensuite fabriquer des prophéties. C’est frauduleux. Comme on dit, la religion est un « fait social total », qui parle aussi d’une crise sociale plus générale. Il y a bien d’autres crises au Congo que celle de l’éthos protestant. Mais ce qui se passe, c’est que les Églises pourraient jouer un rôle correcteur, qu’elles n’exercent plus, car leur crédibilité est atteinte. Nous vivons un paradoxe. Il y a eu une forte augmentation quantitative des Églises (sans atteindre le niveau de ce que l’on observe à Kinshasa, RDC, cependant). Mais il y a eu dans le même temps une réduction de leur influence. On n’abandonne pas la foi, mais le formalisme et l’opportunisme augmentent, l’éthique ne pénètre pas. L’Église (au sens global) ne peut plus faire de leçons de morale aux politiques, parce qu’elle a elle-même les pieds dans la boue. Elle doit briller par l’exemple, sinon elle perd sa légitimité.
5/ Pour prendre l’exemple de la musique, quelles sont les évolutions rencontrées dans les Églises de la République du Congo ?
Une musique très spécifique à l’Église Évangélique du Congo, depuis le Réveil de 1947, est ce qu’on appelle le kilombo, ou musique d’Église inspirée, chantée par une chorale traditionnelle, avec une dimension prophétique. C’est parti du Réveil. Les premiers cantiques du kilombo sont inspirés, et cela a continué jusqu’à aujourd’hui. Le style, le rythme sont restés les mêmes, il y a une vraie volonté de rester fidèle à l’inspiration du départ, sans adopter d’instruments occidentaux comme le piano ou la guitare, et en recourant, par contre, au tambour traditionnel. Les autorités religieuses ont toujours cherché à tamiser ces productions, les trier, car l’inspiration échappe à l’institution. Mais globalement, je dirais que l’authenticité s’est maintenue. En revanche, beaucoup d’Églises, aujourd’hui, ne pratiquent pas ou peu le kilombo, et leurs chorales sont passées à une orchestration à outrance, où même le message du cantique chanté n’est plus souvent audible. Cette évolution est caractéristique de l’essentiel des chorales de l’Église évangélique du Congo. On entend davantage les instruments que le message chanté, et il y a changement de style, on copie les intermèdes des chants mondains pour les adapter, les rythmes, les sonorités…. Les protestants avaient un style particulier en matière de cantiques. Cela a été conservé par les chorales de Brazzaville sud. Surtout de la région du Pool. C’est là-bas que l’évangélisation a commencé en 1909. Dans la tendance à « faire du bruit », on note aussi une nette convergence avec Kinshasa depuis les événements des années 1990, avant c’était très différent en matière musicale entre les deux rives du fleuve Congo.
6/ Pour finir, quel regard portez-vous sur la francophonie ?
La Francophonie, c’est une organisation aussi, en particulier l’OIF. D’un point de vue politique, quand on confronte l’impact de la francophonie dans les pays de cet espace francophone avec l’impact du Commonwealth de l’espace anglophone, si vous interrogez les gens, ils diront que de l’autre côté (c’est-à-dire du côté du Commonwealth) il y a plus d’impact. Les gens ont plus tendance à donner du crédit au Commonwealth. La « françafrique » a trop duré, c’est vraiment une épine que la francophonie traîne. La France a perdu beaucoup de crédit. L’affaire du Burkina, par exemple, où Emmanuel Macron a blagué sur la climatisation à réparer, humiliant le président de l’époque devant des étudiants, ça n’a pas passé (3). On pourrait citer d’autres choses. Par ailleurs, au niveau du lien avec la religion, particulièrement le protestantisme, la France est un pays globalement catholique, la minorité protestante est faible. L’anglophonie est davantage baignée par le protestantisme. Mais les choses changent. Au niveau de la sous-région de l’Afrique centrale, le Congo est chrétien à plus de 90%, toujours à majorité catholique, mais le protestantisme est en train de nettement progresser, en raison des faiblesses des Églises traditionnelles. Il y a une nouvelle francophonie protestante qui s’affirme, et elle est africaine. A mon avis, il n’y a pas de risque qu’elle se dilue dans l’anglophonie. Non ! La langue est une différence majeure pour les populations. Il y a d’autres choses aussi. Par contre, ce qui est sûr, c’est que cette nouvelle francophonie protestante africaine commence à influencer la francophonie européenne.
(1) Richard Macaire Lengo & Jacques Makino, « La motivation des jeunes pour la formation théologique : cas des étudiants externes de la faculté de théologie protestante de Brazzaville », Revue Congolaise de Gestion, 2012/2, n°18, p.107-137.
(2) Jean-François Bayart (dir.), Religion et modernité politique en Afrique noire, Dieu pour tous et chacun pour soi, Paris, Karthala, 1993.
(3) Lionel Obadia, La marchandisation de Dieu, L’économie religieuse, Paris, CNRS Editions, 2014.
(4) L’épisode s’est passé le 29 novembre 2017 à Ouagadougou, devant 800 étudiants. Le président Kabore se levant à un moment, le président français a cru blaguer en déclarant « Il est parti réparer la climatisation ». Officiellement, l’épisode a été minimisé. Il en a été autrement dans l’opinion publique africaine.
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