La société malgache laisse traditionnellement une place significative aux femmes. La monarchie malgache pré-coloniale n’était-elle pas matri-linéaire ? Rencontrée en juillet 2019, Eliette Randrianaivo a bien voulu nous en dire plus sur l’Institut Supérieur de Théologie Evangélique (ISTE) de Madagascar situé à Ambohitrarahaba.

 « Madame Eliette », vous êtes une figure du protestantisme malgache, pouvez-vous vous présenter ?

On m’appelle Madame Eliette. Mon nom complet est Eliette Randrianaivo.  Je suis actuellement la directrice, et aussi la fondatrice, de l’ISTE, l’Institut Supérieur de Théologie Evangélique (ISTE), à Antananarivo, Madagascar[1]. Nous sommes situés non loin du centre de Tana, à Ambohitrarahaba. L’ISTE est jeune. Il a seulement quatorze ans et a son avenir devant lui. Je suis heureuse d’avoir pu contribuer, avec mon mari Raymond, à sa naissance, suite à un appel du Seigneur. Je suis chrétienne évangélique, convertie grâce au témoignage de Daniel Zimmerlin, à Bordeaux, il y a bien longtemps de cela. J’ai eu le privilège de recevoir une formation évangélique de qualité à la Faculté Libre de Théologie Evangélique (FTLE) de Vaux-Sur-Seine, en France, au début des années 1970. Je me J’ai notamment bénéficié des cours de Henri Blocher. Il m’en est resté un goût pour une formation biblique de qualité, et un appétit pour l’hébreu biblique, que j’enseigne depuis longtemps avec passion. J’ai eu la joie de publier il y quelques années mon cours d’hébreu biblique[2]. Il est utile dans toute la francophonie africaine. Titulaire d’une maîtrise de théologie, je me suis beaucoup investie à la MSE (Médias au Service de l’Evangile), plaque tournante du protestantisme évangélique à Madagascar.

Comment vous est venu l’idée de fonder, avec votre époux, l’Institut Supérieur de Théologie Evangélique (ISTE) de Madagascar ?

Nous avons pris conscience d’un décalage. D’un côté, il y a une grande vitalité des Eglises ici, à Madagascar. Les Malgaches sont croyants, et beaucoup se tournent vers la foi chrétienne ! A côté des Eglises FJKM et FLM[3], les Eglises évangéliques se développent à rythme rapide. Il y a de tout… Mais d’un autre côté, il y a peu d’offre de formation. Les unions d’Eglises ont certes chacune leur propre école à Madagascar. Les Assemblées de Dieu (pentecôtistes) ont la leur, par exemple. D’autres aussi. Mais il y a aussi besoin d’approfondir, et d’avoir la possibilité de se former dans une certaine unité évangélique, au-delà des dénominations particulières. L’ISTE répond à ce besoin. Il n’est pas en concurrence avec les écoles confessionnelles qui forment les pasteurs des différentes dénominations. Il complète les formations confessionnelles avec une formation théologique de niveau Licence-Master, qui demande notamment une bonne maîtrise de la langue française, et qui propose aussi une initiation à la recherche. Nous ne recrutons qu’à partir du niveau Bac, qui est atteint seulement par une petite minorité d’étudiants à Madagascar.

Comment s’est développé l’ISTE depuis sa fondation ?

L’ISTE a commencé très modestement en 2005, ici, à Tananarive, avec le soutien spirituel bienveillant d’Emile Nicole et de la Faculté de Vaux-sur-Seine en France. Nous sommes déclarés comme une association, pas comme une institution. Nous avons mis en place une administration, des cycles de cours, et développé petit à petit nos locaux et notre recrutement, avec l’aide d’un réseau de soutien nourri principalement par la francophonie protestante évangélique. Je citerai en particulier les GBU (Groupes Bibliques Universitaires) et la Ligue pour la Lecture de la Bible (LLB). Cela n’a pas été facile, car il fallait vaincre les méfiances des dénominations déjà implantées à Madagascar, et montrer que nous n’étions nullement des concurrents. Nos premiers appuis ont été parmi les milieux des assemblées de frères, et parmi les baptistes bibliques, ces derniers présents à Madagascar depuis les années 1930.  Nous avons progressivement développé nos locaux et achevons actuellement un agrandissement, qui nous dote de nouvelles salles de cours et d’une vaste salle au 1er étage. Nous fonctionnons avec une dizaine de professeurs locaux, et avec des professeurs invités. Notre bibliothèque s’est agrandie, ce qui est tout à fait stratégique. Car nous tenons beaucoup à offrir aux étudiants des outils de qualité pourra approfondir leur foi et leur connaissance de la Bible. En ce début juillet, à la clôture de l’année académique, nous avions 170 places assises, toutes occupées. Des responsables de très nombreuses églises sont venus. Au total, 280 personnes environ. C’est encourageant !

Quels sont vos projets ?

Pour l’instant, nous offrons un niveau Licence / Master. A terme, pourquoi pas élever notre niveau d’exigence et nos diplômes ? La pépinière d’Eglises est bien là à Madagascar. Nous voulons, à l’ISTE, mieux enraciner cette pépinière dans la connaissance de la Bible. C’est notre priorité. Par ailleurs, nous avons actuellement assez peu d’étudiants (entre dix et vingt, tous cycles confondus). Nous souhaiterions aussi élargir notre recrutement, notamment en direction des Eglises charismatiques qui se sont beaucoup développées dans l’ïle depuis trente ans. Nous comptons sur le renfort, parmi nous, d’un jeune théologien français, Timothée MInard. il peut nous aider à bâtir les ponts dont nous avons besoin pour créer le climat de confiance nécessaire avec les nombreuses dénominations évangéliques qui se sont développées à Madagascar depuis la fin du XXe siècle. Savez-vous qu’il n’y a jamais eu d’Alliance Evangélique à Madagascar ? D’unité évangélique ?  Personnellement, j’aspire aussi à la relève. On me dit que j’ai de l’énergie à revendre, mais j’aimerais bien passer le relai ! Dernier point : nous espérons créer une collection de l’ISTE, qui propose une offre éditoriale protestante évangélique adaptée pour former les pasteurs à Madagascar, et pourquoi pas au-delà.

Comment voyez-vous la francophonie dans le paysage protestant malgache ?

Les Eglises de Madagascar ont beaucoup de vitalité. Mais elles ont tellement besoin de racines et d’approfondissement ! La francophonie est une opportunité, pour elles, d’enrichir la foi des Eglises avec des ressources venues d’Afrique francophone et de France. La francophonie n’est pas une finalité. Mais c’est une aide dont les chrétiens auraient tort, à Madagascar, de se priver.

[1] Le site internet de l’ISTE est : http://iste-madagascar.net

[2] Eliette Randrianaivo, Cours d’Hébreu biblique, Langham, 2015.

[3] Principales Eglises protestantes réformées et luthériennes à Madagascar.