A peine caché de la route par une haie vive, sous un grand préau qui sert de lieu de détente, mais aussi de parloir et de réfectoire, la préparation du repas se termine. C’est un détenu, formé par le chef de détention, qui fait la cuisine pour tout le monde.

Nous sommes dans le centre de détention de Uturoa, sur l’île de Raiatea, à une heure de vol de Papeete. On y propose des activités scolaires, des cours d’informatique, des ateliers d’artisanat et d’art (peinture, sculpture, bijoux), mais « ce n’est pas cela qui donne du travail », disent les détenus en souriant. Ils travaillent également dans les plantations du jardin et sont formés à la permaculture, ce qui permet au Centre pénitentiaire de produire ses légumes pour la cuisine. Le chef de détention prend des détenus pour des travaux de nettoyage de la forêt ainsi que pour des activités de préservation de la biodiversité et des coraux ; et les détenus ont la possibilité de passer le permis de bateau côtier, ce qui ouvre à des possibilités d’activités de pêche ou de tourisme.

C’est un petit établissement où, lors de notre visite, sont accueillis 8 détenus en fin de peine et en rapprochement familial. Nous avons été impressionnés par l’engagement du personnel de surveillance, et en particulier du chef de détention, qui est multitâche : il s’occupe des extractions, de la comptabilité, de la gestion administrative, des ressources humaines, des courses, et organise et anime les sorties.

Cette petite structure, originale, atypique, montre les possibilités qu’elles offrent de pouvoir effectuer un travail approfondi d’accompagnement, de formation, pour promouvoir une réinsertion inscrite dans la réalité locale, qui est économique, écologique, mais aussi culturelle.

Le contraste est violent avec ce que nous avons vu au centre pénitentiaire de Nuutania à côté de Papeete, le plus ancien de Polynésie. Ce qui marque le plus, c’est la vétusté. Les conditions de détention sont exécrables, tant du point de vue de l’hygiène, que de la grande promiscuité, surtout dans la maison d’arrêt, surpeuplée, comme elles le sont toutes. Une atteinte insupportable à la dignité humaine ! Le quartier femmes, lui, a été réhabilité et offre des conditions de détention plus décentes. Au quartier de peines aménagées, également vétuste, les détenus travaillent à l’extérieur, au service de la mairie. En contraste avec ces conditions matérielles de détention déplorables, c’est l’attitude des surveillants qui nous a touchés : certes fermes, ils se montrent néanmoins bienveillants, attentifs à la situation des détenus. Un peu d’humanité dans cet univers infernal.

C’est pour décharger Nuutania qu’a été ouvert en 2017 le centre de détention de Tatutu de Papeari à une cinquantaine de kilomètres de Papeete, qui accueille exclusivement des personnes condamnées. D’une capacité de 410 places, il accueillait 370 détenus lors de notre visite. Encellulement individuel, quartier dit de confiance, larges coursives lumineuses, cette prison offre de bonnes conditions de détention dans le respect de la dignité des personnes ; le contraste est frappant avec Nuutania. A côté de l’école et du travail (ce qui concerne environ un tiers des détenus), des formations professionnelles et de nombreuses activités sont proposées. Lors de notre visite, il y avait une exposition consacrée à Henri Hiro, un poète et auteur de théâtre tahitien, ancien pasteur de l’Eglise protestante ma’ohie, afin de sensibiliser les détenues à cette culture et aux questions liées au retour aux racines de l’identité ma’ohie, dont Hiro était porteur.

La particularité de ce centre de détention, c’est qu’il dispose d’une importante unité médicale, digne d’un hôpital, aux équipements très modernes avec une équipe conséquente. Le médecin nous a parlé de son travail avec enthousiasme, en particulier de la manière dont il s’attache à prendre le temps avec les personnes détenues pour prendre en compte toute la personne et pas seulement le côté médical.

Trois établissements pénitentiaires dans ces îles dont les noms font plutôt rêver, comme Tahiti. On pense plutôt plages, lagons bleu émeraude, mer chaude, ou paysages verdoyants, vallées encaissées au creux de montagnes majestueuses, on pense plutôt à un paradis. Un paradis habité par des gens très accueillants, d’une grande gentillesse, où la vie est apparemment paisible.

Mais il y a ce côté plus sombre de la carte postale. A la question : « Quelles sont les principales raisons d’incarcération dans les prisons de l’archipel ? », un surveillant nous a répondu : « Trafics, violence, surtout violences intra familiales, essentiellement, mais aussi braquages, vols, ou encore conduite en état d’ivresse et autres délits routiers. »

C’est dans ce contexte qu’interviennent les équipes d’aumônerie. Nous avons eu l’occasion de participer à un culte animé par les aumôniers à Tatutu, avec une trentaine de participants ce jour-là, où le chant occupe une grande place, accompagné du ukulélé, et de la guitare, ainsi que les témoignages et la prédication. « Le culte, ils en ont besoin, dans ce temps de remise en question. C’est une aide spirituelle » explique le chef de détention de Uturoa. Et les aumôniers de souligner que la demande est forte, dans un contexte où le religieux est très présent. Particularité régionale : si l’aumônerie protestante travaille sous l’égide de la Fédération protestante, dans les fait, chaque Eglise impliquée dans l’aumônerie assure des cultes et des visites pour celles et ceux qui relèvent de leur confession. Les aumôniers et auxiliaires d’aumônerie sont accompagnés par de nombreux intervenants occasionnels qui participent à l’animation des cultes et rencontres, pour pouvoir satisfaire la demande. Mais le travail d’accompagnement et de formation se fait en commun. C’est à l’occasion d’une formation sur le ministère de l’aumônier et des équipes d’aumônerie que nous avons pu découvrir les établissements et le cadre dans lequel ils interviennent, et d’apprécier l’importance et la qualité de leur travail de l’accompagnement spirituel des détenus dans leur cheminement de reconstruction.