Comment vivre une francophonie protestante dans un contexte postcolonial vietnamien marqué par une double méfiance ? Méfiance vis-à-vis de l’ancienne métropole colonisatrice (la France), méfiance vis-à-vis de la religion, suspectée de menacer le nouvel ordre marxiste-léniniste… A partir des années 1980-90, des liens se sont pourtant resserrés, avec en point d’orgue la visite du président de la Fédération Protestante de France au Vietnam en mars-avril 1996 (volet 3/6 de notre série sur le Vietnam).
Dans son immense majorité, le protestantisme vietnamien est aujourd’hui de type évangélique. Cette caractéristique est largement dûe aux origines du protestantisme en Indochine coloniale, portées par la Christian Missionary Alliance (CMA). Tout au long de l’histoire contemporaine du Vietnam, cette empreinte protestante évangélique a été teintée de francophonie, via quelques missionnaires français comme Daniel Bordreuil, Pierre Medard, Jean Funé.Ce dernier fut missionnaire de la CMA durant plus de 40 ans, et oeuvra longtemps dans le domaine des publications (près de Saïgon) et de la formation (1) (Dalat, région du Tonkin). Durant la période coloniale, l’Institut Biblique de Nogent sur Marne (IBN), « coeur de réseau » de la francophonie évangélique, a joué un rôle important dans ces liens et échanges missionnaires. Mais après l’indépendance et la réunification vietnamienne, la donne a changé.
L’impulsion donnée par Roland Cosnard
Dans le Vietnam communiste, la « religion de la Bonne Nouvelle » s’est retrouvée étroitement surveillée, et largement coupée de ses liens précédents avec l’étranger, et en particulier la France. Aucun missionnaire français œuvrant pour la CMA n’est resté sur place. En revanche, on doit à un pasteur pentecôtiste français, Roland Cosnard (1933-2012), d’avoir restauré des liens protestants forts entre le Vietnam et la France, à partir des années 1980. Roland Cosnard, à la tête de l’AEFA, œuvre présente au Vietnam depuis 1988 a mis en œuvre ses réseaux et sa capacité de conviction. Avocat passionné de la cause des Églises vietnamiennes, mais aussi du développement économique et social d’un pays martyrisé par la guerre, le pasteur Cosnard a rouvert bien des portes que les guerres d’indépendance avaient verrouillées.L’un des points d’orgue de ce rapprochement délicat avec la France est la visite au Vietnam, en 1996, du président de la Fédération Protestante de France, Jacques Stewart. La visite, officieuse, s’est déroulée sur une période de douze jours, à partir du 29 mars 1996, du Sud au Nord du pays. Jacques Stewart a pu à cette occasion rencontrer de nombreuses communautés protestantes et catholiques du Vietnam, en particulier des représentants de l’Alliance missionnaire chrétienne, principal réseau protestant organisé, mais non reconnu par les autorités de l’État vietnamien.
Charte de la Fédération Protestante de France (FPF) traduite en vietnamienTraduite en langue vietnamienne, la charte de la Fédération Protestante de France a suscité « beaucoup d’intérêt tant auprès des différentes églises protestantes qu’auprès des autorités gouvernementales qui pourraient s’en inspirer pour imaginer une institution représentative du protestantisme, dotée d’un statut officiel et reconnu ». Dans une lettre ultérieurement adressée par le président de la FPF aux pasteurs de la CMA, jacques Stewart souligne notamment qu’il a « mesuré aussi auprès de vous l’importance de la parole discrète, de la parole qui ne doit pas être bavarde ou gaspillée, mais murée dans la réflexion et la prière, la parole destinée à être confiée et vécue dans la vérité parce que vous êtes témoins d’une parole de vie qui a du prix »(2).Souhaitant resserrer les liens et nourrir une relation régulière avec le Vietnam, le représentant du protestantisme français vit ses espoirs déçus par la suite, en raison d’un contexte politique vietnamien resté très méfiant vis-à-vis de la religion en général, et des échanges chrétiens internationaux en particulier. Il reste que cette visite de 1996 constitue un jalon important dans la récente histoire protestante vietnamienne, marquant avec éclat qu’une fragile francophonie protestante postcoloniale n’était pas une utopie dans une République socialiste du Vietnam qui guérit lentement de ses blessures du passé.