«Partisan d’une Algérie juste», Albert Camus «ne disait pas ‘oui mais’ au terrorisme, mais il refusait de faire l’impasse sur ce qu’il appelait ‘les raisons de l’adversaire’». Un texte de Philippe Malidor.

Une fois de plus, Camus se révèle incroyablement pertinent dans l’actualité récente, même s’il n’est plus de ce triste monde depuis janvier 1960. Il ne disait pas «oui mais» au terrorisme, mais il refusait de faire l’impasse sur ce qu’il appelait «les raisons de l’adversaire». Aujourd’hui, le procès d’intention qui lui fut fait se réitère contre quiconque tente honnêtement de comprendre où les événements atroces du 7 octobre 2023 creusent (une partie de) leurs racines.

Au moment où l’annonce de l’attaque massive du Hamas en territoire israélien a éclaté, la sidération devant ces actes terroristes commis par un groupe qui, pour gouvernemental qu’il soit, n’en est pas moins terroriste, a conduit le monde politique français (1) à faire preuve d’un unanimisme total. En faveur du peuple d’Israël, cela était légitime; en faveur de l’État d’Israël, c’était beaucoup plus discutable pour les raisons que le monde entier connaît depuis des décennies. Ainsi, Élisabeth Borne, dont le père était un rescapé d’Auschwitz et s’est suicidé quand elle avait 11 ans, a davantage parlé avec ses tripes qu’avec sa fonction en assimilant illico l’antisionisme à l’antisémitisme. Cela est insultant, car on peut très bien être philosémite et antisioniste, d’autant plus qu’il existe des religieux juifs qui, pour des raisons théologiques, sont antisionistes. Et on peut être sioniste tout en récusant la politique globale de l’État actuel d’Israël comme le fait la gauche israélienne.

Je me doutais bien qu’au bout de quelques jours on commencerait à retrouver la raison, et le droit de penser. Cependant, alors même que, le 12 octobre 2023, le Président de la République tenait des propos mesurés et assez équitables tant envers Israël qu’envers le peuple palestinien, son ministre de l’Intérieur (dont on imagine mal qu’il désobéisse à son chef) faisait interdire les manifestations en faveur des Palestiniens avec l’argument tarte-à-la-crème de risques de «troubles à l’ordre public». Cette attitude est à la fois injuste et contre-productive.

Transpositions exactes

Nous ne nous lancerons pas dans une étude détaillée de l’attitude de Camus par rapport au terrorisme. À cet égard, on peut renvoyer à l’excellent article de Jeanyves Guérin, «Terrorisme», dans le Dictionnaire Albert Camus (2). On peut énoncer brièvement que Camus n’a jamais fait de concession au terrorisme, et qu’il l’a payé très cher dans le contexte de la guerre d’Algérie. Cela est d’autant plus remarquable que, petit blanc né en Algérie, il aurait pu réagir avec ses affects davantage qu’avec son intelligence; or, c’est le contraire qu’il a fait, s’attirant la haine tant du FLN que des partisans de […]