Françoise Caron est, à l’âge de cinq ans, l’objet d’un drame familial. Quand le diagnostic tombe, il est sans appel : Françoise est profondément malvoyante. La petite fille vit bien avec son handicap, mais l’effondrement émotionnel de ses parents lui fait prendre conscience qu’elle est différente et que cette différence va poser problème.
Très vite, les parents rejoignent une Église évangélique. « Leur démarche était liée à un espoir de guérison divine, mais ils ont fait une vraie rencontre avec Dieu. » Françoise sent que le chagrin qu’elle a suscité peut disparaître. Elle se plaît à l’Église et grandit « à travers la foi de ses parents ».
À l’école, elle met toute son énergie à se faire aimer ; elle ravale ses larmes quand on la bouscule dans la cour, quand on lui cache son cartable, quand on l’appelle Clarence ou La Bigleuse… Lorsqu’arrive l’adolescence, elle a soudain l’impression d’être laissée pour compte par le Dieu d’amour. Sa vue se dégrade encore, elle n’a plus qu’un cinquantième à un œil et une perception lumineuse à l’autre.
Elle crie sa révolte à Dieu.
« Je le rendais responsable de ma douleur. Je me disais que s’il était Père, Il était capable d’entendre ma rage. »
L’été de ses quinze ans, ses parents l’expédient dans un camp chrétien. Lors d’une réunion, elle se sent enveloppée de l’amour de Dieu. Elle comprend qu’elle n’est pas le vilain petit canard mais que Dieu l’aime et tient sa vie entre ses mains. « J’ai été maîtrisée par l’amour. » Un amour qu’elle ne remettra jamais en question. Elle devra faire avec son handicap mais il ne déterminera ni son présent ni son avenir. Françoise aspire plus que tout à fonder une famille.
Elle a dix-sept ans lorsqu’elle rencontre Christian. Comme elle, il a envie de « construire sa vie avec Dieu et de faire du bien aux gens ». Un mariage et deux enfants plus tard (le couple en aura quatre), Françoise et Christian s’engagent dans l’accueil des plus démunis avec l’aide sociale à l’enfance. Françoise devient assistante familiale ; elle le restera pendant quarante-deux ans. La famille Caron recevra plus de quatre-vingts enfants.
Un équilibre difficile à trouver
« Nous avons accueilli jusqu’à sept enfants en plus des nôtres, quatre en permanence et des placements d’urgence, principalement des ados en grande difficulté. » Les enfants du couple sont embarqués dans cette vie familiale qui se recompose en permanence ; l’équilibre est difficile à trouver.
« Il y a eu de grandes blessures parce qu’ils ont parfois eu l’impression qu’il fallait aller mal pour qu’on prenne du temps avec eux. »
La famille est malmenée par ses engagements. « On a essuyé des tempêtes, on a quelquefois cru que le bateau allait se briser . » Pendant toutes ces années, Françoise compose avec sa déficience. Dieu ne la guérit pas de son handicap mais des limites qu’il aurait pu lui imposer. Elle contourne les obstacles : « Quand l’eau ne peut pas passer à un endroit, elle se fraie un chemin ailleurs. » La souffrance rend humble et sensible à la douleur des autres, « on expérimente quelque chose d’une faiblesse partagée ». « Madame Famille » n’aime pas le titre dont on l’a affublée. Il est trop lourd à porter. Le mot famille allume des étoiles dans ses yeux mais fait aussi couler des larmes.
La famille est un modèle divin merveilleux mais elle est trop souvent dysfonctionnelle, traversée par une multitude de drames. Plus que jamais motivée pour vivre l’Évangile en actes, la présidente des AFP accompagne tous ceux qui sont engagés sur le terrain pour prendre soin de la cellule familiale. Dans une société tiraillée entre la valorisation à outrance de la famille et une dynamique individualiste qui dépossède les parents de leurs prérogatives, l’équilibre est, là aussi, difficile à trouver.