Les protestants français ont fait face à deux enjeux majeurs : arracher leurs jeunes des griffes de l’enseignement catholique, et leurs vieillards moribonds de la conversion forcée au catholicisme, pratique aussi courante que scandaleuse perpétrée dans de nombreuses cliniques. Dans le domaine de l’éducation, les protestants, très actifs, ont ouvert plusieurs centaines d’écoles. La laïcisation de l’enseignement et la séparation des Églises et de l’État ont modifié la donne. Les protestants ont remis, en confiance, leurs écoles à l’État et déployé les moyens disponibles pour rémunérer leurs pasteurs.

Les années trente

Les protestants sont actifs dans les mouvements de jeunesse (Éclaireurs, UCJG1). Ils réfléchissent beaucoup aux questions liées à l’éducation, en particulier en ce qui concerne ce qu’on appelle l’enfance coupable ou malheureuse (il existe, à l’époque, de véritables bagnes d’enfants pour les mineurs qui se trouvent sous main de justice). Les éclaireurs unionistes constituent un vivier essentiel pour encadrer les maisons d’enfants. Henri Lehmann, par exemple, qui dirige depuis 1948 l’établissement Oberlin en Alsace, met en œuvre dans cette maison, en principe « fermée », les méthodes du scoutisme. Des sizaines de louveteaux partent en randonnée, avec ou sans éducateurs. À ceux qui s’inquiètent, Lehmnan objecte : « Ils ne vont pas fuguer, puisqu’ils ont fait leur promesse. »

L’après-guerre

L’Alsace se trouve dans une situation très particulière. Elle est héritière d’une histoire, antérieure à 1918, marquée par l’obligation faite aux communes de venir au secours des indigents et un fort engagement des notables protestants dans la politique locale, alors que les diaconies sont peu nombreuses. Plus que le régime des cultes – les articles organiques qui les régissaient avant 1905, en France, restent en vigueur en Alsace Moselle –, les lois sociales héritées de la période 1870-1918 accélèrent la modernisation des œuvres alsaciennes. La sécurité sociale, en usage depuis plus d’un demi-siècle, offre un niveau de protection sociale et des possibilités de subventions inconnues dans les autres départements. C’est dans ce contexte que la FOE (Fédération des œuvres évangéliques) voit le jour en Alsace, en 1949. La FIC (Fédération des institutions chrétiennes) sera créée, sur le reste du territoire, à Paris, en 1950. La FOE se développe rapidement ; elle permet à ses adhérents de se rencontrer, les défend et accompagne leurs demandes de subvention. Elle est une interlocutrice reconnue par les pouvoirs publics. Pendant ce temps, à Paris, un Comité d’initiative se forme avec d’une part des œuvres – institutions – comme les Diaconesses de Reuilly (elles ont abrité sous l’Occupation l’Armée du Salut interdite…) et, d’autre part, les mouvements de jeunes (Éclaireurs unionistes, UCJG et UCJF2, et La Cimade). Les débuts de la FIC sont extrêmement difficiles. Contrairement à la FOE, à laquelle presque toutes les institutions ont adhéré, la FIC démarre péniblement, avec une petite trentaine d’adhérents. Les grandes structures, comme les asiles John BOST, les grands diaconats, l’hôpital Ambroise-Paré de Marseille ou l’Infirmerie protestante de Lyon, ne voient pas l’intérêt d’adhérer. Dès 1953, la FIC se trouve en cessation de paiement. Elle est relancée avec l’appui de Marc Boegner et de la Fédération protestante de France. C’est un pasteur d’origine suisse, Pierre Bungener, qui en devient le président. Les dix années suivantes, la FIC se développe, notamment avec l’embauche de la première secrétaire générale, Marguerite Mörch, ancienne permanente des Unions chrétiennes de jeunes filles. Elle entreprend de visiter toutes les institutions protestantes en province. Ses observations sont très contrastées.

1960-1962

La Fédération protestante de France décide de créer un département Diaconie, réunissant la FIC parisienne (sur le point de se dissoudre, faute du soutien financier des grandes œuvres) et la FOE alsacienne. Dans le même temps, la FPF s’ouvre aux œuvres et mouvements : la Cimade, l’Armée du Salut… Le département Diaconie de la FPF a du mal à trouver sa place. Son acquis le plus durable est la mise en place de l’Année diaconale, expérimentée avec succès en Alsace.

1974

La FIC prend un nouvel élan avec l’arrivée de son nouveau secrétaire général, Daniel Lestringant, qui restera jusqu’en 1992. Il veille à soutenir concrètement les adhérents, les grandes institutions qui ont adhéré, comme John BOST, aussi bien que les plus petites. Il mobilise par exemple l’Organisation protestante du logement qui mutualise le 1 % logement pour des travaux de modernisation ou de construction. Son carnet d’adresses se révèle fort utile.

1981-1982

Des plans de lutte contre la pauvreté et la précarité se mettent en place avec l’arrivée de la gauche au pouvoir. L’Armée du Salut et le Secours catholique obtiennent des subsides assez considérables. La FIC devient en 1982 Fédération protestante des œuvres : la Fédération est protestante mais pas forcément ses adhérents.

1984

Près de quatre-vingt-dix millions sont débloqués par l’État et partagés entre le Secours catholique, le Secours populaire, l’Armée du Salut, Emmaüs, la FNARS3, ATD-Quart-Monde, le Fonds social juif unifié, les Petits Frères des pauvres… Jean-Jacques Delarbre, président protestant de la FNARS, trouve regrettable que les protestants ne puissent pas bénéficier de ces fonds. Il met l’accent sur leur professionnalisme dans l’action sociale. En décembre 1984, l’Entraide protestante-Fédération nationale voit le jour. Elle se dote d’une identité, avec une charte qui constitue aujourd’hui encore l’ossature de la FEP : la pauvreté et la précarité ne sont pas des fatalités. Daniel Lestringant est à la fois secrétaire général de la Fédération protestante des œuvres et de l’Entraide protestante-Fédération nationale ; les deux ont leur siège rue de Clichy. L’Entraide protestante obtient une reconnaissance d’utilité publique qui fédère de jeunes associations (Espoir, L’Étage, abej Lille…) et des diaconats paroissiaux. Son président, Bernard Rodenstein, porte une parole audible pour tous, politiques et évangéliques. Trois fédérations coexistent désormais, avec quelques doubles appartenances : la FPO (Fédération protestante des œuvres), l’EPFN (l’Entraide protestante-Fédération nationale) et la FOE (Fédération des œuvres évangéliques alsacienne).

1992

Les dotations de l’État baissent et l’Entraide protestante-Fédération nationale n’a plus d’autonomie financière. La Fédération protestante des œuvres est en crise, pas seulement d’identité (Daniel Lestringant va prendre sa retraite et la question de sa succession se pose). Une fusion laborieuse s’opère en 1992. La FPO, dissoute, entre dans l’EPFN qui modifie ses statuts mais conserve sa charte. La Fédération de l’Entraide protestante est née. La FOE refuse de fusionner. Trois ans plus tard, un accord interfédératif intervenu après d’âpres négociations, et toujours en vigueur, stipule que la FOE accepte de devenir une union régionale de l’Entraide protestante. Elle reste une fédération associée, conserve sa dynamique locale et un permanent ainsi qu’un secrétariat à Strasbourg.

1995

La Fédération de l’Entraide Protestante est officiellement constituée. Elle se régionalisera quelques années plus tard. La FEP reste marquée par son histoire et la recherche d’un équilibre bien difficile à trouver.

Jean-Michel Hitter, propos recueillis par Marion Rouillard