La sage-femme est un personnage inclassable qui investit de nombreux rôles sociaux fondamentaux – la naissance, la mort, l’intime et ses secrets – et a toujours suscité des sentiments paradoxaux : crainte et suspicion chez les puissants du monde – généralement masculins – pour son accès privilégié aux secrets des corps et de la génération ; confiance et reconnaissance de la population qui trouve en elle un recours de proximité, compétent et à l’écoute, précieuse synthèse entre cure et care.

Une reconnaissance laborieuse dans l’univers médical

C’est sans doute cette double affiliation qui rend si difficile la reconnaissance des sages-femmes dans l’univers médical. Elle les disqualifie symboliquement alors qu’elles appartiennent depuis le XIXe siècle au cercle très fermé des professions médicales – au même titre que les médecins et les chirurgiens-dentistes – et qu’elles bénéficient de facto depuis très longtemps d’une autonomie d’exercice et de compétences spécifiques, y compris dans la réalisation de gestes techniques (Nathalie Sage Pranchère, L’École des sages-femmes. Naissance d’un corps professionnel 1786-1917, Tours, PUFR, 2017).

Malgré l’ancienneté de leur ancrage dans une pratique autonome et qualifiée, l’histoire contemporaine des sages-femmes est jalonnée de luttes pour l’obtention – ou la reconquête – de leur reconnaissance statutaire et financière, sans cesse remise en question.

Une difficile émancipation de la catégorisation de « travail de femme »

Cette profession semble de prime abord répondre à la vision archétypale d’un « métier de femme » inscrit de plain-pied dans le care : les sages-femmes – dont 97 % sont des femmes en France, malgré les évolutions du recrutement – prennent soin des femmes, accueillent les nouveau-nés, œuvrent au cœur de l’intimité des corps, de la vie reproductive, du maternage.

Cette représentation reste prégnante dans le monde social, en dépit de leur réalité d’exercice et de leur champ de compétences régulièrement élargi : le suivi gynécologique de prévention en 2010, l’interruption volontaire de grossesse médicamenteuse en 2021 puis chirurgicale en 2024. Mais les sages-femmes ne sont pas dupes. Ces extensions de compétences répondent plus à un besoin de santé publique causé par une baisse démographique des médecins qu’à une volonté de faire d’elles les praticiennes spécialistes de la santé des femmes… Peu importe. Elles se saisissent de ces opportunités et s’engagent activement dans les combats sociétaux comme la lutte contre les violences faites aux femmes : les formations initiales comportent désormais un volume d’enseignement important sur cette problématique et, plus récemment, un diplôme universitaire dédié a été créé par une faculté de
maïeutique (il s’agit du diplôme universitaire « Repérage des violences intrafamiliales et leurs conséquences, accompagnement des femmes et des enfants », faculté de maïeutique, université de Bretagne-Occidentale, Brest).

Toujours plus nombreuses à s’installer en cabinets indépendants, les sages-femmes regagnent une liberté d’exercice perdue dans les années 1970 lorsqu’elles ont quitté le domicile pour migrer massivement vers le salariat et les institutions de soin (Paul Cesbron et Yvonne Knibiehler, La Naissance en Occident, Paris, Albin Michel, 2004). C’est ainsi qu’elles investissent le paysage du soin de premier recours, sans bruit, et déjà les jeunes générations de femmes les ont adoptées pour les accompagner tout au long de leur vie génésique : choix et suivi de contraception, suivi gynécologique de prévention, IVG, suivi de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum, et plus récemment accompagnement de la ménopause.

N’est-ce pas une continuité de l’histoire, que d’être discrètement indispensable ?