Les Français estiment, en toute conscience, que la maladie est privée et la santé publique. Or, c’est une illusion. La maladie, versant obligé de la santé, est publique elle aussi, dans la mesure où les ressources pour guérir proviennent de la collectivité.

Se précipiter aux urgences d’un hôpital pour un lumbago et demander une radio (au demeurant inutile) coûte à peu près trois cents euros à la collectivité ; alors que la consultation d’un médecin ou les services d’un kinésithérapeute occasionneraient une dépense dix fois moindre, avec des résultats supérieurs. Tirer parti, sans scrupule, de la richesse et la contribution publiques témoigne d’une étrange cécité. Le miracle français de la gratuité d’accès aux soins devrait nous rappeler nos précieux privilèges au quotidien. Au lieu de cela, il est relégué au rang de normalité et la moindre entaille dans le système de santé suscite de véhémentes protestations.

Ce système de santé ne subsiste que grâce aux ressources collectives. Il est désespérant de constater que des personnes peu consommatrices de soins s’en donnent soudain à cœur joie parce que « jusqu’ici je n’ai pas coûté cher à la sécurité sociale, il faut bien que je me rattrape ! ». Si tous les citoyens décidaient de « profiter » quotidiennement de l’assurance maladie (comptez deux mille euros pour le prix moyen d’un jour d’hôpital), elle ne résisterait pas longtemps.

La France est le pays du dépistage individuel et des examens de routine inutiles. Aucun pays au monde n’a fait autant de PCR par habitant pour dépister la Covid-19, dans une totale indifférence du rapport coût/efficacité, ou non-efficacité plutôt quand le résultat arrive cinq jours plus tard ! Pendant de longues années, les Français ont été encouragés à réaliser, pour diagnostiquer un éventuel cancer de la prostate, un dosage de PSA – qui a coûté près de trois cents millions d’euros par an sans que cela apporte de résultat valable. Dans le même registre, les échographies thyroïdiennes annuelles de nodules bénins, aussi superflues qu’onéreuses, installent des habitudes devenues rituels !

Mais la France n’est pas le pays de la prévention collective. Nous ne nous intéressons pas aux conditions de vie des plus précaires qui induisent pourtant de nombreuses maladies.

Cette primauté de l’individuel sur le collectif est une des causes de la misère de la santé publique en France. Considérée comme une organisation administrative d’édictions de contraintes (masques, PCR, etc.) mais en aucune façon de conseils sur notre santé, elle est absente de l’enseignement civique. L’école, comme l’université, n’en font aucun cas. Ni, plus étrange encore, la faculté de médecine qui regarde avec mépris la santé publique, affectée au choix – par défaut – des étudiants les moins motivés. La (re)construction du collectif passera par une révolution culturelle.