Au centre de cette lame de fond : l’aspiration des personnes « soignées » ou « accompagnées » à participer aux choix et décisions qui les concernent, dans leur propre accompagnement mais aussi, plus largement, dans les politiques qui les visent et dans la vie de la cité.

Ce réveil – ou ce cri qu’enfin on entend ! – s’exprime partout et sous des formes diverses : dans la santé, par la présence active des associations de patients, dans le grand âge, où les « vieux » prennent la parole et revendiquent leur « pouvoir d’agir », dans le handicap et la grande précarité, où le « rien pour nous sans nous » est en passe de s’imposer. En leitmotiv revient le mot « autodétermination », ce droit de garder le contrôle de sa vie, de pouvoir décider soi-même de ce qui est bon pour soi. En se faisant aider, bien sûr, pour réaliser ses choix, mais aussi – c’est la pointe philosophique du concept – dans l’acte même de décider.

À cette première révolution s’en superpose une autre, tout aussi profonde, qui est celle des « parcours » : parcours de soin, de santé, ou de vie. Nouvelle manière d’envisager l’intervention professionnelle qui repose sur le fait que, dans les situations complexes mobilisant beaucoup d’acteurs, le résultat collectif est bien autre chose que la somme des actes isolés. Et que ce sont les discontinuités et les ruptures qui ont les plus lourdes conséquences.

Le travail social doit prendre en compte ces changements

La crise de recrutement qui affecte aujourd’hui les métiers du travail social s’explique en profondeur, au-delà des questions de rémunération ou de pénibilité, par ces deux transformations. Car l’une et l’autre touchent l’exercice professionnel dans ce qui fait son sens. Quelle est en effet la place du professionnel face à « l’expertise d’usage » que revendiquent désormais les personnes fragiles ? Et quel est le but de son travail, si toute l’énergie se dissipe dans des tâches de coordination entre acteurs d’un « parcours » ?

Ma conviction est que, dans ce contexte, la revalorisation – le réenchantement – du travail social repose sur la volonté et la capacité qu’aura la société de se rendre accueillante aux plus fragiles. Car autodétermination et parcours de vie ont ceci de commun que leur succès repose, en dernière analyse, sur l’accessibilité du milieu ordinaire. À quoi sert en effet un contrôle des choix de vie si les désirs de scolarisation, de logement autonome, de déplacements libres, se heurtent à des environnements inadaptés ? Et quel « parcours » envisager si l’essentiel de l’espace social reste inaccessible ?

Un cap de transformation sociale étant posé, que dire de la méthode ?

Elle devrait tenir en trois points. D’abord se fixer des premières cibles ayant le meilleur effet de levier : on pense en particulier au milieu scolaire et à l’habitat dit « inclusif ». Donner ensuite la parole aux personnes elles-mêmes, qui sont des ambassadrices hors-pair de leur propre combat. Positionner enfin le professionnel du travail social comme un expert utile à tous, car appelé à accompagner la société dans sa propre transformation. Au fond, les acteurs de la solidarité sont sommés d’enrichir leur plaidoyer. Vouloir transformer la société n’est plus un mythe, c’est une question de cohérence : un cadre de vie plus accessible, ouvert à tous, devient aujourd’hui la condition de leur action, s’ils veulent continuer de soutenir les aspirations et les besoins de ceux qu’ils accompagnent.

Denis Piveteau, ancien directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie