Depuis 1875, la loi française impose que tout détenu doit être enfermé dans une cellule individuelle. Ce principe a été adopté afin de favoriser l’amendement moral des délinquants et assurer leur sécurité.
Comme le souligne Dominique Simonot, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, cette loi n’est que rarement respectée. Elle a pu constater, durant l’été 2022, qu’à Bordeaux-Gradignan, la surpopulation atteignait 240 %. Elle a vu « des gens à trois par cellule avec 0,8 mètre carré d’espace vital par être humain ». La nuit, le troisième détenu dort sur un matelas par terre, « contraint de se boucher le nez avec du papier toilette pour éviter d’aspirer des vermines ».
La surpopulation carcérale est une réalité connue de longue date. En 2000, le rapport du Sénat « Prisons : une humiliation pour la République » avait attiré l’attention des médias, Nicolas Sarkozy avait dénoncé « une honte de la République » en 2009, Emmanuel Macron avait promis en 2018 de « sortir de prison plusieurs milliers de personnes pour qui la prison est inutile, voire contre-productive ».
Les détenus ne sont pas les seuls à subir cette peine supplémentaire et dégradante. Les surveillants, les soignants, les travailleurs sociaux, les enseignants et tous les autres professionnels sont régulièrement en sous-effectifs, manquent de moyens et travaillent dans des conditions déplorables. Autant des facteurs qui nuisent à la réhabilitation des détenus et augmentent le risque de récidive.
Les détenus accumulent les handicaps sociaux-économiques (précarité, isolement, absence de diplôme ou formation qualifiante) et les maladies psychiatriques. Ils n’ont que trop rarement l’opportunité d’étudier, se former ou travailler, et sortent très fréquemment sans projet de réinsertion. Ce qui a pour conséquence que 59 % d’entre eux seront recondamnés dans les cinq ans suivant leur libération.
Réduire le recours à l’incarcération
S’imaginer que l’on puisse résoudre le problème de la surpopulation en construisant plus de places est une fausse-bonne idée. En trente ans, le nombre de places en prison a presque doublé, mais le taux de surpopulation reste inchangé, et cela malgré le fait que le taux de délinquance n’ait pas augmenté.
La régulation carcérale n’a rien d’impossible, d’autres pays y sont parvenus. La majorité des pays européens ont mis en œuvre depuis une dizaine d’années une politique de réduction du recours à l’incarcération : l’Allemagne a fait décroître de 13 % sa population carcérale, l’Italie de 12 %, le Royaume-Uni de 10 %, et malgré cela, aucun de ces pays n’a constaté une augmentation de la délinquance.
La France a eu jusqu’en 2007 un tel mécanisme de régulation : la grâce collective prononcée par le président de la République. Chaque 14-Juillet, plusieurs milliers de détenus très proches de la sortie étaient libérés de façon anticipée, là-encore sans causer pour autant de recrudescence de la délinquance. Nicolas Sarkozy a mis fin à cette pratique en 2007 et la réforme constitutionnelle de 2008 a supprimé le droit de grâce collective du président, qui ne conserve qu’un droit de grâce individuel.
La France, après son humiliante condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, début 2020, pour « traitements inhumains et dégradants » envers des détenus, aurait pu saisir l’occasion historique qu’a constituée la crise due au Covid-19 : 13 000 détenus en fin de peine ont été libérés pour lutter contre la pandémie, sans qu’il ne s’en suive de vague de délinquance. Mais cette mesure unique est restée sans suite, et le taux de suroccupation des prisons a retrouvé en quelques mois son niveau pré-pandémique.
Une solution efficace et sans risque existe pour mettre fin à la surpopulation est la mise en place au plus vite d’un numerus clausus en prison : en cas d’entrée d’un détenu dans une maison d’arrêt déjà occupée à 100 %, le condamné le plus proche de la sortie bénéficie d’une mesure d’aménagement. Les dispositions légales permettant ce numerus clausus ont été détaillées dans un projet de loi déposé au Sénat.
Cette mesure conduirait à avancer de quelques jours seulement la sortie de prison et s’appliquerait uniquement en maison d’arrêt ; elle ne concernerait donc ni les criminels ni les délinquants condamnés à de longues peines.
De Hugo à Dostoïevski et à Camus, on attribue à de nombreux hommes de lettres l’adage selon lequel l’état de ses prisons est « la mesure de la civilisation d’un peuple ». Il est grand temps de se questionner si notre volonté d’humilier les détenus et négliger le personnel pénitentiaire est à la mesure de la civilisation que nous prétendons incarner.