Pour Jacqueline Assaël, les tensions actuelles doivent pousser les Églises à formuler « les enjeux dans les termes d’une culture chrétienne méconnue » plutôt que « dans un langage politique dont on sait que, d’emblée, il agace et éloigne beaucoup de monde ».
Les responsables de nos Églises, pasteurs ou autres, revendiquent souvent une légitimité à pouvoir intervenir sur le terrain politique. À certaines époques de l’histoire ou dans certains pays, les interventions du pouvoir spirituel dans les affaires publiques ont eu, ou ont encore, pour objectif d’exercer une emprise sur les consciences ou de s’assurer une représentativité avantageuse dans la société. Mais aujourd’hui, dans nos contrées, ces prises de position publiques sont fondées sur des préoccupations moralement louables: il s’agit de défendre les démunis et de pratiquer la fraternité, selon à la fois une devise républicaine et un commandement chrétien. Évidemment, ces actions doivent être menées, en toute circonstance, parmi les autres, au sein des collectivités humaines. Pour autant, dans ces cas-là, est-il juste et adapté, intellectuellement et spirituellement parlant, que des croyants en parlent en utilisant un langage politique ? Ce glissement, du spirituel au politique, ne peut en fait que desservir l’Église en réduisant et en occultant la spécificité vitale du message d’altruisme qu’il lui revient de délivrer.
L’inefficacité du langage politique
Il serait inefficace et paradoxal de faire supporter à l’Église les griefs que les citoyens éprouvent vis-à-vis du monde politique, en plus du désintérêt qu’elle suscite intrinsèquement dans la société ! La dernière enquête de SciencesPo-Cevipof, En qu[o]i les Français ont-ils confiance aujourd’hui ?, révèle en effet que la foi dans le personnel politique actuel est au plus bas: 74% des sondés déclarent s’en méfier (1). Pour convaincre, il est plus logique de ne pas accumuler les obstacles de toutes les préventions. Si le discours politique est tellement discrédité, il n’est donc guère judicieux que les membres de l’Église l’empruntent pour exprimer les préoccupations qui les animent au nom de Dieu.
D’autant que si les Églises traditionnelles se dépeuplent, l’intérêt pour la spiritualité ne décroît pas dans notre société; alors, pourquoi ne pas expliquer le souci de générosité et d’accueil manifesté par les croyants comme un impératif intime, né d’une relation à un Dieu créateur qui ne fait pas de différence entre les êtres ?: «‘Une partie des jeunes est devenue analphabète en matière de religion’, mais leur intérêt pour la spiritualité reste fort, explique Jean-Paul Willaime, sociologue des religions, au ‘Monde’» (2). Dans ces conditions, pour être efficaces, y compris d’un simple point de vue humanitaire, pourquoi ne pas chercher à intriguer le public en formulant les enjeux dans les termes d’une culture chrétienne méconnue, et non pas dans un langage politique dont on sait que, d’emblée, il agace et éloigne beaucoup de monde ? Car la pensée chrétienne relève, elle aussi, d’une spiritualité, exaltante et profonde s’il […]