Cette intention a déclenché une controverse avec les psychiatres et thérapeutes concernés. Ces derniers ont souligné que cette mesure était futile, puisque la très grande majorité des terroristes n’avaient aucune pathologie psychiatrique.

La controverse prit une nouvelle ampleur lorsque les mêmes autorités demandèrent la levée du secret médical pour les terroristes. Les médecins répondirent que, d’une part, la loi avait été suffisante dans le passé pour les terroristes basques, corse, d’extrême droite ou d’extrême gauche, et que d’autre part, la levée du secret médical était une « fausse bonne idée », car il est illusoire de s’imaginer que le futur terroriste irait confier ses intentions criminelles à son médecin. Lever le secret médical ne révélerait rien d’autre que des dossiers vides de tout indice de terrorisme, il n’y avait donc pas lieu de la modifier.

Pour comprendre la nature de ces deux décisions controversées, il est utile de les rapprocher d’une troisième, celle de la déchéance de la nationalité française des binationaux. Elle est réclamée au motif que certains terroristes adhèrent à une organisation située dans un pays étranger, et qu’ils sont donc, de surcroît, les maillons d’une chaine internationale de criminalité. Or personne n’a jamais réclamé la déchéance de la nationalité pour des criminels agissant dans des réseaux internationaux de trafic de drogues ou d’êtres humains. De tels criminels sont responsables d’autant, si ce n’est plus, de corruption, crimes et meurtres. La menace à l’ordre public et la corruption politique que génèrent ces réseaux sont largement documentées. Pourtant, les autorités publiques n’ont jamais avancé la nécessité de lever le secret médical ou de leur imposer un suivi psychothérapeutique. Ces différences de traitement du terroriste et du criminel international suggèrent qu’ils commettent des actes dont la signification sociale est catégoriquement différente.

Des marqueurs de la nature politique et non médicale de la controverse

Pour trouver une réponse à ces débats passionnels, il faut partir de l’hypothèse que la thérapie obligatoire du terroriste et la levée du secret médical sont des marqueurs de la nature politique et non médicale de la controverse. Ce qui est demandé par les pouvoirs publics aux psychiatres est d’apporter leur caution scientifique pour participer à la construction de la figure du mal dont la société a besoin.

Quel que soit son bagage culturel et scientifique, toute société construit de telles figures, qui lui permettent de calibrer sa boussole morale et de donner un visage et un nom à ses angoisses collectives. Les figures du mal de la société française sont des archétypes sociaux qui apparaissent périodiquement au fil de l’histoire : la sorcière, le parricide, l’héroïnomane, le terroriste. La société évoluant au fil du temps, les angoisses d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui, et la sorcière devient une malade psychiatrique, le parricide un assassin de droit commun, l’héroïnomane un usager de produits stupéfiants, le terroriste un militant nationaliste. Chaque génération construit la nouvelle figure du mal que lui réclame l’actualité.

Comme le souligne Michel Terestchenko dans son ouvrage Un si fragile vernis d’humanité :

« Nos schémas mentaux sont toujours prompts à percevoir dans les crimes d’une singulière barbarie le fait de la bête ou du dément. Il se peut néanmoins que la réalité ne corresponde guère à cette représentation qui a le mérite d’être rassurante à défaut d’être entièrement vraie. »

La controverse médico-politique trouve une résolution quand l’on accepte que le psychiatre ne soit pas plus le thérapeute du terroriste que de tout autre figure du mal, mais qu’il a le devoir d’être le thérapeute des idées reçues sur le terrorisme, et plus généralement sur la fabrication des figures du mal et de leurs usages.