Responsable du logement, du patrimoine public et de l’égalité des chances, membre du parti socialiste, l’échevine Lydia Mutyebele est par ailleurs avocate, notamment titulaire d’une licence de droit à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). C’est à elle qu’il est revenu d’introduire le colloque sur l’afropéanité tenu à Bruxelles les 19 et 20 octobre 2022, dans le cadre de la FUTP.(Faculté Universitaire de Théologie Protestante).
Cette fille de pasteur se revendique aussi chrétienne, protestante évangélique. Elle fait partie des nouveaux entrants, issus de la société civile, qui redessinent aujourd’hui le paysage social, culturel, religieux et politique de Bruxelles.
Que de changements en cinquante ans ! Le catholicisme, en tant que pratique religieuse s’y est effondré. C’est l’islam qui rassemblerait aujourd’hui, à Bruxelles, la majorité des pratiquants réguliers d’une religion (1). Le christianisme ne se meurt pas pour autant.
Alors que le catholicisme travaille à repenser sa pastorale, le protestantisme, en particulier évangélique, gagne du terrain. Il n’a rien, pour autant, d’un nouveau géant religieux, même si la megachurch de la Nouvelle Jerusalem, à Molenbeek, plaide pour un encadrement chrétien taille XXL. Cette grande assemblée, fondée en 1985, a été développée depuis 1986 par feu le pasteur pentecôtiste Martin Mutyebele (1950-2019) et son épouse Rosiane Ngoi Mutyebele (1951-2020), père et mère de Lydia.
La megachurch afropéenne Nouvelle Jérusalem affiche une trajectoire de réussite. Mais sa taille, son dynamisme et son influence, à Bruxelles, ne sont pas représentatifs du vécu de la majorité des évangéliques de la ville. Dans la capitale belge, le quotidien des protestants, qu’ils soient évangéliques ou pas, est marqué par la discrétion et l’expérience minoritaire.
Est-ce une raison pour se désintéresser des affaires de la Cité ? Convaincue du contraire, Lydia Mutyebele n’a eu de cesse de faire passer ce message : la politique est l’affaire de toutes, et tous. Avec deux exigences : sensibiliser les chrétiennes et les chrétiens, en tant que « servante de Dieu » revendiquée, à l’engagement pour le bien commun ; sensibiliser les milieux politiques, parfois tentés par l’entre-soi, à l’importance d’ouvrir le jeu, et mieux faire participer les actrices et acteurs de la ville d’aujourd’hui.
Elle est élue une première fois conseillère communale à Bruxelles dès 2006, sur une liste qui défend une laïcité stricte. Interrogée plus tard à ce sujet, elle assume sans états d’âme une distinction des plans et des sphères : « moi quand on parle avec mes collègues, on ne parle pas de la Bible, on parle des dossiers de la ville, on parle des logements à construire, on parle des politiques qu’on va mener en matière d’égalité des chances…. Moi je suis arrivée en Belgique à l’âge de six ans, donc je suis plus Belge qu’autre chose parce qu’y ai passé toute ma vie » (2).
Administratrice de plusieurs structures et sociétés, elle forge son expérience de candidate, de militante puis d’édile au service de la cité tout en militant dans le Groupement des Femmes Africaines Intégrées et Actives. Le GFAIA cherche à bouger les lignes en encourageant à la formation, à la prise de responsabilités et à l’expression des talents. Alors qu’elle œuvre au sein du parti CDH, elle entend lutter « contre l’indifférence, l’exclusion et la médiocrité ». Un engagement étayé à partir de valeurs alimentées par sa foi chrétienne, qui s’exprime notamment via ses responsabilités dans la chorale Gospel de la Nouvelle Jérusalem.
« Rompre avec la figure stigmatisée et stigmatisante de l’immigré »
Commentaire de l’anthropologue Sarah Demart, qui a étudié son parcours : « Que ce soit à l’échelle de l’individu ou du groupe, l’esprit d’entreprenariat qui se dégage de ce discours religieux affirme un droit et une intention : ceux de rompre avec la figure stigmatisée et stigmatisante de ‘l’immigré’ » (3). Le parcours est semé d’embûches, mais Lydia Mutyebele n’est pas de celles qui renonce. Portée par une vocation politique revendiquée haut et fort, et par un optimisme communicatif, elle change d’affiliation, ralliant le Parti Socialiste en 2012. Un parti alors en quête de nouveaux soutiens. Auprès de celles et ceux qui sont tentés de désinvestir la politique, elle plaide pour l’engagement dans les territoires et la participation électorale. « Nous sommes dans un État de droit, il est important de porter sa voix dans l’urne », affirme-t-elle à mediacongo (le 15 juin 2014).
S’appuyant sur sa popularité dans les milieux évangéliques, particulièrement dans les cercles afro-descendants, elle subit critiques, attaques, notamment sur sa foi chrétienne. Une enquête de la RTBF rapporte ses propos : « de par mon origine culturelle on me disait : ‘Mais non, au Parti Socialiste, ils n’aiment pas les chrétiens ! Il y avait beaucoup de gens qui avaient des appréhensions. Et en militant au Parti socialiste, je me rends compte que c’est faux (…) Il y a des musulmans, il y des chrétiens, il y a des laïques. Et chacun a vraiment sa place et chacun peut porter les projets qui lui correspondent ». Ses compétences reconnues et sa persévérance paient.
En 2020, sous les couleurs du PS, la voilà devenue échevine de la ville de Bruxelles pour le logement, le patrimoine et l’égalité des chances, deux ans après les élections communales de 2018. Anecdote ou symbole ? Une étape marquante, en tout cas, dans la montée en puissance d’une participation afropéenne et féminine aux affaires de la Cité.