Quand la jungle de Calais a été démantelée au début du mois de novembre 2016, les migrants ont été envoyés vers l’un des 450 centres d’accueil et d’orientation, dont celui d’Annecy. Lorsqu’elle a appris, par un ami de la fraternité dominicaine, qu’une quarantaine d’entre eux étaient arrivés dans sa ville, Pascale Vidon-Decoux a gardé cette information en tête. « Mon ami fait des maraudes avec l’Ordre de Malte. Il m’a expliqué qu’ils étaient hébergés dans des locaux désaffectés du centre-ville. Tout leur était fourni, sauf le contact humain », se souvient-elle.

Rapidement, elle décide d’aller rendre visite à ces jeunes hommes abîmés par la vie. « Pour me donner de la contenance, j’y suis allée avec une cagette de clémentines. J’ai été accueillie comme la reine de Saba, ajoute la bénévole. Ils m’ont proposé du thé et du café et j’en ai profité pour discuter avec les travailleurs sociaux. » Une semaine plus tard, Pascale Vidon-Decoux retourne voir les résidents du centre pour leur proposer de les emmener marcher en montagne. « Ils m’ont répondu par un grand oui », dit-elle toujours aussi enthousiaste.

Une bouffée d’oxygène

Lors de la première sortie, avec d’autres bénévoles, elle a emmené quatre jeunes Afghans. « Nous avons passé un très bon moment dans la neige. Ils ont été très touchés par le climat de fraternité et n’ont pas été gênés par le temps de prière », décrit celle qui n’a pas souhaité monter une association. « Au début, les bénévoles faisaient partie d’un petit groupe “prier et marcher”. Nous avons été rejoints par des gens de tous bords porteurs de toutes sortes d’idées. Cet esprit d’ouverture m’a plus, j’ai eu envie de le garder. Aujourd’hui, nous sommes un groupe de 70 bénévoles ! »

Depuis sept ans, 361 jeunes venus de 31 pays ont été marchés en montagne. Et, hors périodes exceptionnelles comme les confinements, trois sorties par mois sont organisées. Des rendez-vous auxquels il faut ajouter des sorties pêches, des après-midi volley-ball, piscine, ski, etc. À chaque fois, l’objectif est le même : faire sortir les jeunes migrants de leur foyer où la promiscuité est parfois source de stress.

C’est aussi l’occasion de les réconcilier avec la nature, après des traversées maritimes épiques ou des forêts en pleine nuit, sous les balles de la police. « Je me souviens de femmes qui avaient peur du lac, qui leur rappelait leur traversée de la méditerranée », confirme Pascale Vicou.

« Ils nous apprennent la joie »

En montagne, le fait de marcher en file indienne ou deux par deux, aide à délier les langues. Des jeunes se mettent à parler de leur pays, mais aussi de leur chemin d’exil. Certains se sentent suffisamment en confiance pour parler des tortures subies en Libye, dont leur corps gardent les traces. « Ils racontent sans jamais se plaindre », souligne Pascal Vidon-Decoux. Dans certains cas, elle leur propose de mettre par écrit leur témoignage, dans le but de le lire lors de prière un peu spéciale ou de rencontres avec l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT).

Les marches sont également l’occasion d’apprendre du vocabulaire en français et de rire au gré du franchissement des obstacles croisés en chemin. « Les jeunes ont entre 18 et 30 ans, ils sont très joueurs », sourit la bénévole. Un dynamisme qui n’empêche pas un grand respect envers ceux qui les encadrent. « Ce sont des cadeaux pour nous. Ils nous apprennent la joie, la tendresse. Ils sont très attentionnés et veillent sur les bénévoles les plus anciens », commente celle qui pourrait être la mère voire la grand-mère de certains. Justement, la majorité des bénévoles a entre 60 et 70 ans et les hommes sont minoritaires (25% environ).

Humaines et placées sous le signe du partage, ses sorties font sauter tous les préjugés. « Au début, les bénévoles n’imaginaient pas autant de gentillesse de la part des jeunes migrants. Ces rencontres leur ouvrent des yeux. » Elles offrent aux jeunes une bouffée d’oxygène dans un quotidien compliqué. « C’est très dur pour les jeunes qui ne trouvent pas de travail malgré des compétences, faute de bien parler le français. Souvent, les plus motivés encouragent les autres », remarque la retraitée de l’enseignement.

Celle qui dispense aujourd’hui des cours de français à ses petits protégés rappelle que le stress et la fatigue compliquent l’apprentissage. « Ils s’inquiètent pour leur famille restée dans leur pays et pour la dette qu’ils ont contractée pour passer en Europe. Avec la promiscuité dans les foyers, ils ne dorment pas bien, certains sont sans abri, etc. Ceux qui ont reçu beaucoup d’amour de la part de leurs parents et ceux qui ont étudié apprennent plus vite. Pour ceux qui n’ont jamais été à l’école et ne connaissent pas l’alphabet, même dans leur langue, c’est beaucoup plus compliqué », explique Pascale Vidon-Decoux. Et d’ajouter : « Je suis admirative de leur résilience : ils ne demandent jamais rien. Ils sont toujours dans le partage, dans la sobriété, dans la simplicité, ces marches avec eux m’ont beaucoup apportées. »