Des expertes se sont penchées sur l’Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains (AFR100). Dans un article publié dans la revue scientifique Science, elles estiment qu’il y a plus de projets de restauration promis que de surface à restaurer. Lancée en 2015, l’initiative concerne 34 pays africains, rappelle RFI. D’un côté, elle vise à soutenir le développement des communautés locales, notamment grâce à des projets d’agroforesterie ; de l’autre, elle vise à ajouter des arbres à des terres déjà cultivées. C’est ce second point qui est décrié.
“Nous avons regardé combien de surface ils avaient promis de reforester et ensuite combien de surface forestière était disponible et nous avons découvert que dans de nombreux pays, il n’y avait pas de forêt du tout ou alors [que] la surface forestière était bien plus petite que celle promise à la restauration », commente Kate Parr, professeure d’écologie tropicale à l’université de Liverpool et co-autrice de l’article.
Des espèces non indigènes
La radio a contacté l’AFR, qui nie les découvertes des chercheuses. “Elles n’ont pas considéré l’utilisation des sols par des humains. Il y a des villages, des villes qui se trouvent sur ces prairies, et quand les gens commencent à les cultiver, ils plantent des manguiers ou des fruits de la passion, par exemple”, rétorque la chargée du suivi des projets, Sheryl Quail, afin de justifier les plantations d’arbres. Seul hic, 60 % de celles-ci sont des espèces non indigènes. Il faut ajouter que les projets agroforestiers doivent être bénéfiques pour les agriculteurs.
Habituellement, l’agroforesterie est vue comme un moyen efficace d’allier protection de l’environnement et développement des communautés locales. Mais dans le cas de l’AFR100, il semble que la restauration des terres prime sur l’aide aux communautés locales. D’ailleurs, Sheryl Quail reconnaît le manque de clarté de l’initiative. Elle admet aussi que l’objectif des 129 millions d’hectares restaurés d’ici 2030, soit deux fois et demie la taille de la France, est “symbolique”. “Il n’y a pas l’argent pour ça”, confirme-t-elle. Une réponse d’autant plus étonnante que plus d’un milliard de dollars de fonds privés et publics ont été levés pour concrétiser l’initiative.
Coordonnées erronées
Parmi les donateurs figurent le Bezos Earth Fund, l’organisation philanthropique de Jeff Bezos, le P-DG d’Amazon. Sur son site Internet, elle promeut des paysages luxuriants au milieu desquels le milliardaire s’affiche avec un air concentré sur la nature qui lui fait face. Emily Averna, chargée des programmes de restauration de la fondation, chiffre à plus de 50 millions d’euros l’enveloppe octroyée à l’AFR100. “Nous avons un protocole de contrôle très rigoureux réalisé au moyen de technologies satellites, de photos par géo-référence et de terrain”, assure-t-elle.
Pour autant, elle n’est pas en mesure d’expliquer à RFI comment sont réalisées les vérifications sur le terrain. L’AFR100 n’est guère plus prolixe en explications. Selon Sheryl Quail, la priorité est de “comprendre où se trouvent tous les projets”. Bien sûr, l’évaluation de tels projets nécessite du recul, mais selon les informations de la radio, au moins deux des projets mis en avant sur le site Internet n’ont jamais commencé ou ont été interrompus depuis 2022. Pour ne rien gâcher, les coordonnées des chargés de projet publiées sur le site sont parfois erronées. Certains ont cependant accepté de parler avec RFI sous couvert d’anonymat.
Un bilan mitigé
Selon eux, les résultats de l’initiative sont mitigés. Un rapport chiffre à un peu plus de 900 000 hectares la surface restaurée entre 2016 et 2021. Un résultat encore extrêmement éloigné des 129 millions promis d’ici 2030. Pourtant, derrière les chiffres, il y a un impact positif sur des vies humaines, selon les projets mis en avant sur le site Internet de l’initiative. Mais la restauration passe aussi par la protection de l’environnement et des écosystèmes. Et de ce point de vue, les scientifiques jugent que l’AFR100 doit encore faire ses preuves.