Les 12 jeunes tués par un tir de roquette samedi 27 juillet, alors qu’ils jouaient au football, étaient tous Druzes. Ils étaient âgés de 10 à 16 ans. Les membres de cette communauté sont très attachés à leur nationalité syrienne et bénéficient d’un statut de résident en Israël, rappelle franceinfo. Les victimes ont été enterrées dimanche, dans les communes de Majdal Shams et Ein Quniya situées sur le plateau du Golan annexé par Israël.

Selon Israël, le tir a été perpétré par le Hezbollah. Le mouvement islamiste libanais, lui, dément toute responsabilité. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a écourté un déplacement aux États-Unis pour se rendre sur place. Il a assuré que le Hezbollah paierait “le prix fort” pour cette “attaque la plus meurtrière contre des civils israéliens depuis le 7 octobre”. Mais les dirigeants druzes, eux, se sont opposés à toute riposte. “Nous rejetons le fait de verser ne serait-ce qu’une goutte de sang sous prétexte de venger nos enfants”, ont-ils déclaré.

Religion monothéiste

Les Druzes sont dans une situation complexe. Ils constituent une minorité ethnique et religieuse née en Égypte au XIe siècle. Leur religion, monothéiste, intègre des éléments de l’islam, de l’hindouisme et de la philosophie grecque classique, insistant sur “la pureté spirituelle”. Les Druzes croient en plusieurs prophètes, dont Jésus, Mahomet et Moïse. “Leur croyance est mal connue, elle reste secrète”, commente pour franceinfo Alhadji Bouba Nouhou, enseignant à l’université Bordeaux-Montaigne et spécialiste du conflit israélo-arabe. Il ajoute : “Les Druzes ont leurs propres textes sacrés, qui ne se transmettent qu’aux initiés. Personne ne peut connaître réellement la doctrine sans y avoir été initié.”

Arabes, les Druzes ne sont ni musulmans ni chrétiens et ils se rassemblent “dans des maisons de la sagesse”, indique l’enseignant. Plutôt fermée, la communauté interdit les mariages mixtes et les conversions.

150 000 en Israël

La population druze est estimée entre 800 000 et un million de personnes. Une large majorité (80 %) d’entre eux vivent en Syrie et au Liban. Ils sont quelque 150 000 à vivre en Israël, selon les données du Bureau de la statistique israélien. Ces derniers ont la nationalité israélienne, participent à la vie politique du pays et effectuent leur service militaire obligatoire. “Ils parlent arabe et israélien, sont particulièrement recrutés dans les services liés à la sécurité et servent d’interprètes dans les tribunaux militaires”, indique Alhadji Bouba Nouhou. Depuis le 7 octobre 2023, les Druzes combattent également dans la bande de Gaza aux côtés des forces israéliennes. “Israël est en guerre et nous faisons partie d’Israël”, justifie Anan Kheir, activiste druze israélien, interrogé par franceinfo.

L’engagement de la communauté auprès d’Israël remonte à peu de temps avant la création de l’État hébreu en 1948. “Des Druzes qui ne se reconnaissaient pas dans les revendications palestiniennes ont pris contact avec David Ben Gourion [un des fondateurs de l’État d’Israël] et se sont rapprochés des communautés juives sionistes”, raconte Alhadji Bouba Nouhou. Pour tisser des liens plus étroits, Israël les a ensuite dissociés des autres communautés arabes et les a inscrits sur une liste de minorités non musulmanes. Dans la foulée, la mention “Druze” a remplacé celle d’“Arabe” sur leurs papiers d’identité, selon le site Orient XXI. Cette distinction a créé une forme de “légitimité et de loyauté” des Druzes d’Israël envers l’État hébreu, complète Alhadji Bouba Nouhou.

L’autre statut des Druzes du Golan

Les Druzes du plateau du Golan sont quelque 23 000. Ils ont conservé la nationalité syrienne après la conquête par Israël de ce territoire contrôlé par Damas lors de la guerre des Six Jours en 1967. En 1981, quand Israël a officiellement annexé le Golan, qui est devenu un territoire occupé comme la Cisjordanie, les Druzes auraient pu obtenir la citoyenneté israélienne, mais ils ont refusé cette proposition. La majorité d’entre eux préfère le statut de résident permanent et se met ainsi en retrait des démarches liées à l’État israélien, comme les élections locales.

Ainsi, aucun des 12 jeunes Druzes tués lors de l’attaque de samedi n’avait la citoyenneté israélienne, selon les autorités municipales. Une démarcation vis-à-vis d’Israël qui s’est intensifiée en 1982, lorsque la loi sur l’annexion du plateau du Golan est entrée en vigueur en Israël. De nombreux Druzes du Golan ont alors dénoncé cette législation et réaffirmé leur attachement à la Syrie. Le régime syrien appuie ce sentiment en encourageant les relations entre Damas et les Druzes du Golan. Ceux-ci peuvent étudier gratuitement en Syrie, les liens commerciaux sont favorisés, les regroupements familiaux et les mariages sont facilités.

Plus de demandes de nationalité israélienne

Des liens distendus depuis 2011 et le début de la guerre en Syrie. Les échanges culturels et économiques ont été freinés par les combats et le soutien à Bachar al-Assad a faibli. “L’effondrement de l’État syrien et les ravages dans le pays ont obligé les Druzes du Golan à choisir une option rationnelle : celle de l’intégration dans la sphère israélienne”, explique l’historien Yusri Hazran. Une évolution qui n’équivaut pas à une reconnaissance du sionisme. Concrètement, les demandes de nationalité israélienne de la part des Druzes du Golan ont légèrement augmenté. Au nombre d’une dizaine par an dans les années 2010, 139 ont été enregistrées en 2019. Pour autant, l’implication des Druzes du Golan israéliens dans la vie politique de l’État hébreu est rare. Ainsi, à Majdal Shams, la plus grande ville druze, sur 962 électeurs israéliens, seulement 169 ont voté lors des dernières élections à la Knesset en 2022.

Pourtant, le statut politique des Druzes du Golan leur confère des droits. Ils ont accès aux soins de santé, à l’éducation et circulent librement à l’intérieur d’Israël. Mais ils subissent encore des discriminations concernant l’obtention de permis de construire ou le droit de voyager à l’étranger. Si bien que la situation tend à se détériorer. Depuis la loi “État-nation” d’Israël de 2018, qui fait d’Israël l’État du peuple juif avant tout, les Druzes d’Israël et du Golan se sentent mis de côté. “Ils étaient présentés comme un modèle d’intégration par Israël et se sentent trahis”, explique Alhadji Bouba Nouhou. La loi de 2018 reconnaît, par exemple, les implantations juives dans les territoires occupés comme étant “d’intérêt national”. Depuis cette date, la colonisation sur le plateau du Golan, illégale au regard du droit international, a progressé. Si bien que 25 000 Israéliens vivent aux côtés des 23 000 Druzes, non sans heurts. En juin 2023, des Druzes du Golan ont menacé Israël de mener une “intifada”, après l’évocation d’installation d’éoliennes sur leur territoire.

Des cibles malgré eux

La guerre à Gaza a encore accru les tensions. Les échanges de tirs entre le Liban et Israël font des Druzes du Golan des cibles malgré eux. Il faut dire que le Golan abrite de nombreuses installations militaires israéliennes et est régulièrement visé par le Hezbollah. Après l’attaque de Majdal Shams, “les Druzes ont dénoncé un manque de protection de la part d’Israël”, souligne Alhadji Bouba Nouhou. Dans les jours à venir, ils vont “peut-être durcir leurs revendications”.