Avec au moins 109 morts, le lundi 5 août est devenue la journée la plus meurtrière depuis le début des manifestations. Depuis plusieurs semaines, le Bangladesh est secoué par de violents affrontements. Ils auraient fait depuis le début du mois 409 morts, selon des données de la police, ainsi que des sources officielles et hospitalières. Initié par des étudiants, les manifestations contre les quotas d’embauche dans l’administration étaient au départ pacifistes, rappelle franceinfo.
Le système réserve 30 % de ces emplois aux enfants des “combattants de la liberté”, ayant participé à la guerre de libération du Bangladesh contre le Pakistan, en 1971. Une façon indirecte d’attribuer des emplois publics à des loyalistes de la Ligue Awami, le parti au pouvoir, selon les protestataires. Partiellement aboli en 2018, le système a été rétabli en juin 2024 par la justice. Une décision qui a mis le feu aux poudres dans un Bangladesh où 18 millions de jeunes n’ont pas d’emploi, selon les chiffres du gouvernement.
Quatre mandats de cinq ans
Peu à peu, les manifestations ont pris de l’ampleur et la Cour suprême du Bangladesh a décidé, le 21 juillet, de suspendre provisoirement la majorité des quotas. Une mesure insuffisante pour les étudiants, qui réclament l’abrogation du texte. Lorsque des milliers de manifestants antigouvernementaux ont marché sur Dacca, la capitale du pays, Sheikh Hasina, la Première ministre, a démissionné et pris la fuite.
Depuis le 16 juillet, après que la répression a fait ses premiers morts, les manifestants ont commencé à réclamer la démission de Sheikh Hasina, 76 ans, et de nouvelles élections. “Le parti [de la cheffe du gouvernement] en est à son quatrième mandat de cinq ans, il est sans discontinuer au pouvoir depuis 2008, à la suite d’élections qui sont considérées comme n’ayant pas été des élections libres”, explique à franceinfo Philippe Benoît, chercheur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
Au cours des trois dernières semaines, les incendies de bâtiments publics et de postes de police par les manifestants se sont également multipliés. Dimanche 4 août, la Première ministre a accusé les manifestants d’être non “pas des étudiants, mais des terroristes qui cherchent à déstabiliser la nation”, rapportait alors la BBC.
Étouffer la grogne
Afin de rétablir l’ordre, le gouvernement a restreint la navigation sur Internet depuis la mi-juillet. Et l’accès au web a été coupé de manière généralisée, lundi 5 août, selon des fournisseurs et des organismes de surveillance. Une décision qui impacte également l’utilisation des téléphones mobiles. Toujours dans le but d’étouffer la grogne, le porte-parole du ministère de l’Éducation avait annoncé, le 16 juillet, “la fermeture jusqu’à nouvel ordre de tous les lycées, collèges, séminaires islamiques et instituts polytechniques”. Une décision officiellement prise “pour tenir compte de la sécurité des élèves”. Une mesure ensuite étendue aux universités. Au 19e jour de la contestation, vendredi 19 juillet, un couvre-feu a également été instauré.
Enfin, face à la contestation, l’armée a été déployée pour maintenir l’ordre, vendredi 19 juillet. Une présence qui n’a pas empêché des milliers de manifestants de battre le pavé dès le lendemain. La répression, qui avait déjà fait plusieurs dizaines de morts, s’est encore accentuée, la police tirant à balle réelle sur les militants. Dès le milieu du mois de juillet, Amnesty International a dénoncé un usage “illégal” de la force par les autorités bangladaises “à l’encontre d’étudiants qui manifestent”. L’ONU a aussi condamné “la violence choquante au Bangladesh”, dimanche 4 août. “Le gouvernement doit cesser de cibler ceux qui participent pacifiquement au mouvement de protestation, libérer immédiatement les personnes détenues arbitrairement, rétablir l’accès complet à internet et créer les conditions d’un dialogue constructif”, a réagi Volker Türk, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, dans un communiqué publié dans la soirée.
Violations présumées des droits humains
Mi-juillet, ce dernier s’était dit “très préoccupé” par des informations selon lesquelles les autorités bangladaises déployaient des unités paramilitaires telles que les gardes-frontières et le bataillon d’action rapide, “qui ont un long historique de violations” des droits humains. L’ONU avait alors demandé à Dacca de “divulguer d’urgence tous les détails de la répression des manifestations”, appelant à une “enquête impartiale, indépendante et transparente” sur les violations présumées des droits humains.
Lundi 5 août, un nouveau palier a été franchi, quand des milliers de manifestants antigouvernementaux ont pris d’assaut le palais de la Première ministre. “Le temps est venu de la manifestation finale”, avait ainsi affirmé Asif Mahmud, un des leaders du collectif « Students Against Discrimination », mouvement étudiant à l’origine de la contestation. La veille, il avait déjà appelé à la désobéissance civile invitant ses concitoyens à ne plus payer d’impôts ni de factures liées aux services publics et les fonctionnaires à ne plus aller travailler. Le leader avait aussi encouragé les ouvriers des usines de confection, secteur important de l’industrie nationale, à se mettre en grève.
La formation d’un gouvernement intérimaire
Lundi, le fils de la Première ministre a exhorté les forces de sécurité à empêcher toute prise du pouvoir dans ce pays de 170 millions d’habitants. En vain. La cheffe du gouvernement a dû quitter sa résidence de Dacca pour un « lieu sûr », gagné en hélicoptère selon les dires d’un proche. “Le pays a beaucoup souffert, l’économie a été touchée, de nombreuses personnes ont été tuées. Il est temps de mettre fin à la violence”, a déclaré le général Waker-Uz-Zaman, avant de parler de la formation d’un gouvernement intérimaire. « Si la situation s’améliore, il n’y a pas lieu de recourir à l’état d’urgence », a-t-il précisé.