Si comme partout dans le monde les hommes restent majoritaires en politique, les femmes gagnent peu à peu du terrain en Afrique. Alors qu’au 1er janvier 2024, les femmes représentaient 26,9% des parlementaires en place dans le monde, en Afrique subsaharienne, elles sont 27,3%, selon le dernier rapport de l’Union interparlementaire, l’organisation mondiale des Parlements des États souverains. Et sur 345 chefs d’État et de gouvernement, il n’y a que 20 femmes à la tête d’un pays. L’Afrique n’en compte qu’une, précise TV5 Monde. Elle se nomme Sahle-Work Zewde (Photo ci-dessus) et elle préside l’Éthiopie.

En Afrique, le nombre de femmes progresse lentement. Pour Anaïs Angelo, historienne et chercheuse au département d’études africaines de l’université de Vienne, en Autriche, “la colonisation a signé l’exclusion des femmes des institutions de prise de décision de politique”. Les femmes sont marginalisées et exclues des institutions d’autorité publique. Une mise à l’écart que les femmes “vont combattre et leur lutte va s’intensifier avec l’augmentation des luttes anticoloniales, dans lesquelles elles vont jouer un rôle extrêmement important”, souligne la spécialiste.

Espoir d’un changement déçu

Grâce à des réseaux d’associations de femmes très organisés, “souvent mieux que les partis nationalistes”, elles se frayent un chemin en politique. Elles militent pour la décolonisation et les droits des femmes, dont le droit de vote. Leurs actions portent leurs fruits puisque le Pew Research Center, un centre indépendant de recherche et d’analyse de données aux États-Unis, rappelle que “80 % des pays d’Afrique ont accordé le suffrage universel à leurs citoyens entre 1950 et 1975.” Beaucoup d’États ont adopté le suffrage universel quand ils sont devenus indépendants, mis en place de nouveaux gouvernements et de nouvelles constitutions.

Malgré le droit de vote et une intégration petit à petit dans les institutions post-coloniales, les femmes minoritaires restent minoritaires. “Au moment des indépendances, l’espoir d’un changement va être assez rapidement déçu, parce que le pouvoir des nouveaux régimes indépendants sur tout le continent africain reste un pouvoir essentiellement masculin et les femmes en sont quasiment absentes”, ajoute Anaïs Angelo. Malgré la domination masculine dans le paysage politique, les années 1960 et 1970 marquent un tournant important : l’entrée des premières femmes au Parlement.

Des femmes “catégorisées”

C’est une étape clé puisque, comme le souligne l’historienne, “dans de nombreux pays (…) pour être ministre, il faut être d’abord élu parlementaire”. Les transitions post-coloniales sont aussi l’occasion de mettre en place des politiques de quotas et des comités afin d’assurer la présence des femmes dans les différentes institutions.

Néanmoins, “les femmes sont mises à part et sont en quelque sorte catégorisées comme femmes et pas seulement comme femmes politiques, au même titre que les hommes”, ajoute la spécialiste. Si bien que “l’entrée massive de femmes dans ces espaces ne change pas la donne, ne change pas les rapports de genre au pouvoir et ne résout pas les problèmes que les femmes rencontrent pour être incluses en politique”.

Le plus de progrès au Bénin

Et, puis, comme dans de nombreux autres pays, l’ONU Femmes rappelle que “les cinq portefeuilles les plus souvent détenus par des femmes ministres dans le monde sont les suivants : femmes et égalité des sexes, affaires familiales et de l’enfance, inclusion sociale et développement, protection sociale et sécurité sociale, et affaires autochtones et minoritaires”. Zeina Hilal, responsable du Programme du partenariat entre hommes et femmes à UIP dresse un constat similaire. “Dans nos études nous récoltons des données sur certaines commissions parlementaires : finances, affaires étrangères, droits de la femme, environnement, finances… On le voit partout dans le monde, il y a beaucoup plus de femmes qui président des commissions dites proches des ‘affaires sociales’ que de femmes qui président des commissions des finances ou des relations internationales”, commente-t-elle. Il en va de même pour les ministères régaliens et les postes de cheffe de gouvernement et de présidente.

En Afrique, le Bénin est le pays où le plus de progrès ont été observés en matière de parité parlementaire. Le code électoral adopté en 2019 n’est pas étrangé à cette évolution, puisqu’il a mis en place des sièges réservés aux politiciennes. De manière plus générale, un parlementaire africain sur quatre est une femme. Et trois femmes sont cheffe de gouvernement. Il s’agit de Victoire Tomegah-Dogbé au Togo, de Saara Kuugongelwa-Amadhila en Namibie et de Judith Tuluka Suminwa, en RDC. Par ailleurs, trois femmes ont été élues présidentes et huit occupent ou ont occupé un poste de cheffe d’État. Des progrès constatés ici ou là n’empêchent pas des reculs dans d’autres pays. C’est le cas du Sénégal où le tout nouveau gouvernement ne compte que quatre femmes, contre sept ou huit dans les précédents. 

Encore une multitude d’obstacles

TV5 Monde continue en rapportant que les Africaines qui tentent de percer en politique rencontrent encore de nombreux obstacles. Selon un rapport de l’UIP et de l’Union parlementaire africaine (UPA) datant de  2021, les femmes politiques africaines, et notamment dans les parlements, sont particulièrement exposées au sexisme et à la violence. “Des violences présentes à une échelle beaucoup plus grave qu’on ne le pensait précédemment, mais aussi multiples : psychologiques, sexistes, sexuelles, et économiques”, liste Zeina Hilal. 

Pour sa part, Anaïs Angelo insiste sur le fait que militer est dangereux : “Il faut participer à des rallyes, se déplacer, faire du porte-à-porte, aller parfois dans des coins reculés… C’est parfois difficile en étant femme d’avoir cette mobilité, cette indépendance.” Et d’ajouter : “Dans des sociétés où les femmes sont encore largement responsables de l’organisation de la famille, il faut aussi réussir à dégager du temps pour faire de la politique !” Un enjeu global qui ne concerne pas que le continent africain.

Des violences commises au sein des institutions

L’étude de 2021 précise également que selon les femmes interrogées, la plupart des violences sont le faits de parlementaires de sexe masculin, notamment ceux des partis rivaux. Le plus souvent, elles ont même lieu au sein des institutions. Aussi, à moins d’un changement en profondeur, les femmes risquent d’être découragées d’entamer une carrière en politique. Pour éviter d’en arriver là, l’UIP a décidé d’appeler à certaines solutions et de publier des lignes directrices à suivre par les parlements. Parmi elles figurent notamment l’adoption des politiques anti-harcèlement, l’application d’une tolérance zéro avec un système d’investigation juste qui protège les victimes en premier lieu ou encore un système de sanctions efficace.

Grâce à leur organisation et à la solidarité, les femmes ont durement acquis leur place sur la scène politique. Elles ont mis en place de nombreux groupes dans les parlements. Ils permettent “à toutes les femmes, de n’importe quel parti politique, de se joindre à un groupe dont l’intérêt commun est la promotion des droits des femmes, de leur participation et de leur émancipation”, explique Zeina Hilal. Si aujourd’hui, il n’est plus possible “de mener une campagne électorale, que ce soit en Afrique ou ailleurs, sans que les questions de droits des femmes, d’égalité et d’émancipation ne prennent un peu le devant de la scène”, les progrès réalisés de l’autre côté de la Méditerranée restent fragiles. Pour preuve, en 2022 et 2023, la parité en politique dans le monde a progressé de 0,4 % seulement. Un résultat en baisse par rapport aux guère plus glorieux 0,6 % enregistrés en 2020 et 2021.

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