Plongée au cœur d’un Orient chrétien, pas comme les autres…

Mars-al-Oadima

Devant la petite église protestante presbytérienne de Mars-al-Oadima, Magdi, ancien étudiant en France qui travaille aujourd’hui à Dubaï, parle de religion. « J’ai été baptisé à l’église copte orthodoxe, mais j’ai été scout chez les grec-catholiques et en classe chez les Jésuites…» Au Caire, la diversité est une richesse dans un pays où la situation politique semble aujourd’hui figée depuis le coup d’état militaire de 2013. A l’image de la place Tahrir, lieu de rassemblement des révolutionnaires de 2011, aujourd’hui solidement gardée.

Côté économique, le cochari, plat classique de la rue cairote avec du riz long, des coquillettes et des lentilles noires a coûté 3 livres en 2011. Il faut aujourd’hui en débourser 10. Il en est de même pour les produits de première nécessité. La pauvreté a été la cause première de la révolution de janvier 2011. Elle n’a pas reculé. «On n’a plus les moyens d’acheter de la viande ou du poisson qu’une fois par mois, avoue Saïd, chrétien copte, mécanicien du quartier. Alors un ou deux pigeons de temps en temps, avec des fèves ou du riz, ce n’est pas mauvais… »

Manshiyat Naser

Manshiyat Naser, loin des lumières de la capitale, au bout de la pauvreté. Adham, la quarantaine, avocat, regagne son appartement, slalomant entre bouteilles en plastique, montagnes de carton et autres déchets dont se nourrissent des cochons qui errent dans la rue. Ce quartier des chiffonniers, connu via Sœur Emmanuelle, est l’un des plus pauvres des rives du Nil. Les habitants sont chrétiens coptes en majorité, comme Adham, croyant engagé né en Haute-Egypte quittée à l’âge de 9 ans. Il a choisi de rester travailler ici pour défendre ses semblables et témoigner de sa foi malgré les attentats sanglants perpétrés à longueur d’année par l’organisation état islamique.

Les coptes orthodoxes – copte veut dire égyptien – sont les chrétiens indigènes d’Egypte et les descendants directs des anciens Egyptiens. La tradition veut que l’église en Égypte a été fondée par saint Marc l’évangéliste, et Alexandrie, deuxième ville du pays, s’est classée avec Antioche et Rome comme l’un des principaux sièges de l’église primitive. Personne ne sait combien de coptes vivent aujourd’hui entre Alexandrie et Assouan: on les estime autour de 10% des 100 M d’égyptiens. Suffisamment en tout cas pour que le pape François juge nécessaire de leur rendre visite en avril 2017. Il y préside la messe au stade de l’Armée de l’air du Caire, devant 15000 catholiques égyptiens. Quelques certitudes cependant: ils constituent la première communauté chrétienne du monde arabe. Leur grande majorité suit le rite copte orthodoxe, sous l’autorité d’un patriarche respecté : le pape Tawadros II.

«Nous, les coptes, avons une vie bénie spirituellement. Mais politiquement nous sommes dans une oppression!» affirme sans détour le prêtre copte orthodoxe Fahim, à l’ombre de l’imposante cathédrale copte au centre du Caire. Il suffit qu’un musulman se voit refuser un crédit par un chrétien pour l’achat d’un morceau de tissu, pour que le ton monte et que les fusils sortent. Des coptes sont tués, leurs magasins brûlés et pillés. «Les coptes se sentent mal aimés de l’Etat lui-même. Pas un recteur d’université, pas un gouverneur – sorte de préfet de région – de confession chrétienne. Des professions de facto interdites…» relève le père Fahim.

Le poids des musulmans sunnites est imposant: 90% de la population. Islam et charia – loi islamique – sont inscrits dans la Constitution. Le Caire, surnommée la ville aux mille et une mosquées, accueille depuis 970 la prestigieuse mosquée et université Al-Azhar, la plus haute autorité sunnite du monde arabe.

Kasr El Dubara

Entre la verdure des résidences de Kasr El Dubara, l’un des derniers quartiers chics du Caire : la plus grande église protestante de tout le ProcheOrient et sa paroisse de quelques 8000 fidèles inscrits. Une église transformée en dispensaire, poste de secours pour les blessés du printemps arabe de 2011, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, frères musulmans ou démocrates.

Kasr El Dubara est en fête ce dimanche d’octobre 2017 pour marquer les 500 ans de la Réforme de Martin Luther. La Fédération protestante d’Egypte célèbre solennellement l’événement avec une délégation du protestantisme mondial. Einfeste Burg istunser Gottretentit sur les rives du Nil porté par un chœur professionnel et un orchestre symphonique. Les invités étrangers ont été reçus la veille par le pape copte Tawadros II, par le ministre des Affaires religieuses et, pour un groupe restreint,par le président Al Sissi en personne. « Je ne serais pas comme je suis aujourd’hui sans la grâce de Dieu et le soutien du protestantisme» confie le pasteur Andrea Zaki, docteur en théologie en charge du protestantisme de son pays.

En Egypte, les protestants remontent au 19e siècle avec l’arrivée de missionnaires presbytériens américains. Une minorité méconnue évaluée tout de même entre l M et 2 M de fidèles dont l’audience dépasse leur modeste nombre.

Minorité dans la minorité : une communauté protestante francophone rassemble depuis la fin du 19e siècle, au Caire et à Alexandrie, des fidèles de diverses confessions réformées. Expatriés aujourd’hui d’Afrique subsaharienne pour la plupart, ils sont liés à l’ACO France et Suisse. Ce groupuscule de paroissiens et leur pasteur réformé français en poste, Michael Schlick,se font fort, comme confie ce dernier, de « résister dans un contexte socio-économique et politiquement fragile, dans un pays frappé par un terrorisme sanglant, qui cherche à déstabiliser le régime politique et qui sème la haine parmi la population et ses différentes communautés religieuses. Dur temps pour nous en situation à la fois fragile et forte. »