Une cérémonie politico-religieuse

André Malraux avait prophétisé que le 21e siècle serait religieux. Le retour du religieux, ou plus exactement son instrumentalisation à des fins politiques, semble inaugurer notre début de siècle. La cérémonie d’hommage à Charlie Kirk, figure du conservatisme évangélique aux États Unis, doit nous inciter à réfléchir sur une recomposition singulière des formes de religiosité non seulement dans l’Amérique contemporaine mais aussi partout ailleurs dans le monde, y compris chez nous. Parce que fidèles à nos racines et traditions luthériennes ou calvinistes, lecteurs de l’Institution Chrétienne, les figures nouvelles et troublantes de ce religieux folklorisé ne laissent pas de nous interroger.

Cependant, sans nuire le moins du monde à «une fraternité protestante au-delà des différences», nous constatons que l’événement MAGA a parfaitement intégré une scénographie et des rituels évangéliques certes adaptés, remaniés, amplifiés en un spectacle politique, en préservant leurs fonctions principales d’unification, de sacralisation et de mobilisation propres à certains cultes évangéliques. La cérémonie funèbre politico-religieuse américaine semble n’avoir fait qu’effacer la figure du Christ (encore que…) en lui substituant celle d’un martyr politique. Grossière permutation qui illustre la transformation du religieux en performance politique.

Entre sacré et politique: la mise en scène d’un culte civique

Dans Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912), Émile Durkheim ne définit pas la religion par son contenu – un ensemble de dogmes ou de croyances –, mais par sa fonction sociale. C’est selon lui un système de pratiques, de représentations collectives qui vise à créer du lien social autour du sacré. Selon cette approche fonctionnelle, la religion serait une forme et un moteur de cohésion sociale. Le groupe est structuré et se munit d’un langage symbolique partagé renforçant le sentiment d’appartenance et l’unité du groupe. Dans cette perspective, l’hommage à Charlie Kirk peut être interprété comme «un rite d’intégration communautaire». Ce n’est pas un événement religieux au sens traditionnel, mais un moment de communion entre membres militants d’un même ensemble socio-politique: celui du conservatisme évangélique et populiste américain. Les chants, les témoignages, une liturgie de la mémoire, les appels au combat spirituel et politique renouent avec une forme de rituel sacré (ou la rejouent) permettant au groupe de se reconnaître, de se renforcer et de se projeter dans une lutte commune. «Nous sommes la tempête…» Le sacré est bien plus que déplacé, il est subverti. Il réside en un Dieu fantasmé («Nous sommes du côté de Dieu», rappelant un historique «Gott mit uns»), tout en célébrant un martyr d’une Amérique se proclamant chrétienne et libre, tout en élevant la mort de Charlie Kirk à un sacrifice pour des valeurs supérieures, celles du camp du bien («Nous sommes du côté du bien…»): la vérité, la foi, la liberté. Ce qui donne à la mémoire du célébré une portée quasi salvatrice. La mutation profonde du religieux tient dans sa réorientation vers un profane investi de signification transcendante.

La sacralisation du politique

Cette cérémonie grandiose et burlesque témoigne d’un phénomène complexe, qui relève d’une théologisation du champ politique et d’une politisation du champ théologique. Lorsque Stephen Miller prétend détenir le monopole du sacré – la vraie nation, les vraies valeurs, les vrais combats – il transfère dans le domaine politique des passions religieuses et des combats manichéens. Il ouvre la voie dangereuse à un sacré politique conflictuel. En endossant les habits du messianisme, en tenant le discours d’un évangélisme politique, il diabolise ses […]