Un cauchemar sans fin. Voilà ce que vivent près de trois millions d’Haïtiens restés dans la capitale. France 24 s’est rendu sur place en mai dernier et livre un récit effrayant du quotidien à Port-au-Prince et dans ses environs, où les gangs règnent en maîtres. L’envoi d’une force multinationale et l’arrivée il y a quelques semaines du premier contingent de policiers kenyans n’a pour l’instant rien changé.

Le pays, dont l’aéroport international est fermé, reste en proie à la violence et la crise ne cesse de s’amplifier. Le démantèlement de l’État participe à cette situation. Désormais, les gangs armés contrôlent 80 % de la capitale et leur puissance va croissant. S’ils sont de plus en plus riches, ils sont également de mieux en mieux équipés d’un point de vue militaire. D’ailleurs, Jimmy Chérizier, porte-parole d’une alliance de gangs, rappelle à France 24 : « Nous réclamons une place à la table des négociations, sinon, on va continuer à se battre. »

Défier l’État

Les gangs ont choisi d’unir leurs forces pour défier l’État. Un objectif en partie atteint puisqu’en mars dernier, Ariel Henry, le Premier ministre, a démissionné alors qu’il était à l’étranger. Grâce à leur alliance, les gangs contrôlent désormais l’essentiel de la zone côtière de Port-au-Prince et, ainsi, les points d’accès aux ports stratégiques du pays. Or, Haïti importe 50 % des denrées alimentaires, alors que l’île regorge de terres fertiles. Ce qui fait dire que les élites ultra-riches et corrompues sont responsables de la crise.

« Quiconque a la main sur les ports qui contrôlent l’importation dans le pays, contrôle une grosse partie de l’économie », précise à France 24 Widlore Mérancourt, rédacteur en chef du site haïtien d’investigation Ayibo Post. Et d’ajouter : « Faire affaire en Haïti rime souvent avec violence et avec l’utilisation des bandes criminelles pour gagner du territoire et faire avancer ses affaires. » Selon lui, des hommes d’affaires n’ont pas hésité à faire appel aux services de jeunes et de gangs pour s’en prendre à leurs rivaux, allant jusqu’à piller et incendier les entreprises de ceux avec qui ils ne voulaient pas faire affaire. Des kidnappings ont également été observés.

Des gangs qui font partie du paysage politique

Au fil du temps, les gangs se sont structurés et ont gagné en puissance. Puis, dans de nombreux cas, ils ont fini par se retourner contre leurs commanditaires, rapporte le journaliste haïtien. Aujourd’hui, la situation est telle que les gangs font partie intégrante du paysage politique haïtien. Pour mémoire, ils ont pendant longtemps joui de la protection de la classe politique.

Il y a deux ans, Jovenel Moïse, le président haïtien, était assassiné par des hommes. Il n’a pour le moment pas été remplacé. Néanmoins, un Conseil présidentiel de transition a été créé. Il est dirigé par Edgar Leblanc Fils. Celui-ci confirme à l’équipe de France 24 l’effondrement “des institutions de l’État. Il y a toujours eu une certaine connivence entre les autorités étatiques et les bandits, soit pour gagner les élections, soit pour occuper des espaces de pouvoir”.

Un champ de bataille

Pourtant, il est persuadé que Garry Conille, le nouveau Premier ministre nommé par le Conseil présidentiel de transition, va permettre à la police de reprendre les choses en main. Edgar Leblanc Fils compte également sur l’aide de la force multinationale pour acculer et démanteler les gangs. En attendant, les civils pris au piège et les forces de l’ordre sont épuisées. Néanmoins, leur détermination serait intacte. Si les agents de police disent vouloir rendre leur pays fier, leur tâche est difficile.

Les membres des gangs sont partout. Ils se dissimulent dans les ruines des bâtiments détruits et ont transformé la ville en un champ de bataille. D’ailleurs, ils n’hésitent pas à attaquer le char des forces de l’ordre, tout criblé de balles. Dans la capitale, le danger est partout au point que les policiers en sous-effectif sortent rarement de leur véhicule pour patrouiller à pied. Alors beaucoup de civils ont quitté la zone.

“Assassinats, enlèvements”

Ceux encore présents dans le centre-ville sont pris au piège. Ils expliquent à France 24 refuser de partir pour ne pas que les gangs et les pillards s’emparent de leur maison. Leur vie est rythmée par le son des tirs et les scènes de pillages dans les bâtiments alentours. Dans les bidonvilles de Port-au-Prince, fiefs des gangs, des milliers de personnes vivent encore sur place. Leur situation est différente : elles n’ont nulle part où aller.

Les membres des gangs, eux, se présentent comme des défenseurs des Haïtiens pauvres face à l’élite corrompue. Il leur arrive parfois de distribuer des repas donnés par les ONG et les organismes internationaux. Mais Rosy Auguste Ducéna, avocate pour le Réseau national des droits humains, estime qu’ils agissent ainsi pour donner une bonne image. « Les bandes armées sont impliquées dans la perpétration de crimes de droit commun, dans des assassinats, dans des enlèvements suivis de séquestrations contre rançons. Elles sont impliquées dans des viols, des viols collectifs, des incendies de maisons, de résidences privées, d’entreprises, de banques, de tribunaux, de commissariats… », liste-t-elle. Concernant Jimmy Chérizier, surnommé Barbecue, l’avocate ne mâche pas ses mots : « Barbecue n’est pas un révolutionnaire. C’est un bandit armé. »