Au sortir du sommeil oublieux qui parfois efface tout, la réalité s’impose, chaque jour plus terrifiante, si contraire à nos convictions, à nos opinions, à nos valeurs, à nos engagements qui ne prennent sens qu’à travers la Parole dont nous sommes nourris sans lui être toujours bien fidèles et que nous peinons trop souvent à entendre. Quelle théodicée contemporaine pourrait nous porter secours ? Comment se retrouver soi-même dans un monde qui nous signifie que nous sommes inadaptables, comme à contretemps, et qui nous rejette – ou nous annule – lorsque nous lui résistons et refusons en pure perte de nous accommoder de tout, d’accepter l’inacceptable ?
Assister à l’inéluctable ?
C’est pourtant cet inacceptable qui informe insidieusement nos existences, qui trompe nos consciences distraites, qui les asservit malgré nous. Et combien de fois nous interrogeons-nous: Suis-je bien de ce monde ? Y ai-je bien ma place ? Mais aussi: Quelle est ma part de responsabilité au regard de l’Histoire ? Qu’ai-je donc fait, accepté ou nié à mon humble échelle pour que ce monde devienne si difficile à vivre, si peu respectueux de ce qui fait notre humanité ? En quoi aurais-je failli en contribuant malgré moi, peut-être avec mon inconscient consentement, à ce délitement généralisé, sans avoir toujours la capacité de le penser, c’est-à-dire de remonter à ses sources, de l’envisager dans sa complexité mouvante et d’en prévoir les fatales conséquences ? Que se passe-t-il aujourd’hui pour que j’ai le sentiment d’assister à l’inéluctable et que mes quelques savoirs, inopérants à penser le réel, ne me permettent que de constater ? Et déplorer. En vain.
Dans un monde impossible à saisir dans sa totalité, nous voilà incapables d’établir une linéarité acceptable de significations selon l’enchaînement des causes et des conséquences qui aide habituellement à reconstituer le fil, sinon la logique, de l’Histoire. Le principe de raison suffisante, rationaliste, laisse penser que rien n’arrive sans raison. Désenchantement du monde que déserterait le divin. Mais pourquoi ce sentiment intime que quelque chose s’est cassé, exigeant réparation ? Encore faudrait-il savoir ce qui est cassé et ce qui l’a cassé. Il est terrifiant de ne pas comprendre, de ne pas saisir de vérité(s) et donc de ne pas pouvoir agir et résister. Résister, n’est-ce pas tenter de […]