Élu démocratiquement en 2019, Kaïs Saied a été réélu président de la Tunisie avec 90,7% des suffrages. Celui qui a fait arrêter ces opposants après s’être octroyé les pleins pouvoirs le 25 juillet en disant qu’il allait répondre aux blocages politiques et économiques “considère qu’il a une mission divine révolutionnaire” pour “réaliser la volonté du peuple”. Mais comme le rappelle Corse Matin, Amnesty International pointe “un inquiétant recul des droits fondamentaux dans le berceau du Printemps arabe” et “un virage autoritaire”. Celui-ci tend à détricoter les acquis de la Révolution de 2011.
Par exemple, dès février 2022, l’ex-maître-assistant en droit constitutionnel a dissous le Conseil supérieur de la magistrature. Pourtant, le conseil était le “dernier bastion de l’impartialité judiciaire”, souligne Amnesty. Le président a ensuite recomposé à sa guise la direction de l’autorité électorale Isie. Toujours en 2022, Kaïs Saïed a fait adopter par référendum une révision constitutionnelle, rétablissant un système ultra-présidentiel similaire aux régimes de Habib Bourguiba (1957-1987) et Ben Ali (1987-2011). Au passage, le Parlement a été transformé en chambre d’enregistrement.
Après un premier mandat consacré à lutter « contre les forces du complot sous influences étrangères » ayant « infiltré de nombreux services publics et perturbé des centaines de projets », des défis immenses attendent celui qui entame un deuxième mandat. Alors que la Tunisie s’enfonce dans une crise économique et sociale, le discours anti-establishment et les promesses de réformes radicales séduisent encore une part importante de la population, précise France 24. Et ce, en dépit des inquiétudes croissantes sur l’état de la démocratie tunisienne.
Démantèlement des acquis démocratiques
Des experts ont expliqué à la chaîne de télévision que Kaïs Saïed continuera à démanteler les quelques acquis démocratiques obtenus par les Tunisiens après la révolution de 2011. Vincent Geisser est chargé de recherche au CNRS et spécialiste du Maghreb. Selon lui, « l’objectif de Kaïs Saïed est d’instaurer une démocratie dite ‘de proximité’ avec des assemblées régionales et un dispositif de parrainage extrêmement complexe pour être candidat à une élection. Ce qu’il souhaite, c’est un système reliant directement le village à Carthage [siège de la présidence, NDLR], sans intermédiaire. » Un discours de démocratie participative qui cache « surtout une mise en ordre des institutions, désormais sous le contrôle total du président qui va tout faire pour se maintenir au pouvoir ».
Ce dernier devrait aussi faire en sorte d’avoir plus d’emprise sur le système judiciaire. Lors de son premier mandat, il est déjà parvenu à réprimer comme jamais auparavant les voix dissidentes. Si bien que depuis 2023, plus d’une vingtaine de figures de l’opposition ont été incarcérées. Une répression qui vise désormais aussi les syndicalistes, les avocats, les commentateurs politiques et les militants des droits des migrants. « Lors de son allocution télévisée de jeudi, Kaïs Saïed a réitéré sa détermination à combattre ceux qu’il qualifie de ‘traîtres’ et de ‘corrompus’, suggérant une intensification de la répression à venir », fait remarquer Hatem Nafti, analyste politique tunisien.
Des initiatives économiques efficaces
Soumis à une inflation galopante, atteignant 9,4 % en 2023, les Tunisiens ont vu leur pouvoir d’achat fondre. Quant au taux de croissance du PIB, il a stagné (0,4 % en 2023), alors que le chômage a touché 16,4 % de la population active. Aussi, pendant la campagne, Kaïs Saïed a évité de faire référence à son bilan économique. Et dans sa profession de foi, il a repris les mêmes promesses qu’en 2019, listant des « solutions » basées sur les « capacités propres » du pays et ses « ressources et richesses » inexploitées. Une preuve de son échec à concrétiser ses ambitions économiques. « Kaïs Saïed gouverne sans vision économique claire », analyse Hatem Nafti. Et d’ajouter : « Malgré l’espoir d’un soutien financier des pétromonarchies du Golfe, cela ne s’est pas concrétisé. Il propose des projets utopiques, comme la création de coopératives pour les jeunes chômeurs, mais en deux ans, seuls 70 projets ont vu le jour, illustrant l’inefficacité de ses initiatives. » Selon l’expert, il faut s’attendre à ce que l’histoire se répète.
Au niveau des relations internationales, le chef de l’État devrait poursuivre sa coopération avec l’Italie autour de la gestion des flux migratoires. « Ce partenariat se traduit par une politique migratoire sécuritaire marquée par l’expulsion des Subsahariens, et est ancrée dans une rhétorique identitaire nourrie par la crainte d’une ‘invasion africaine’ qui menacerait l’islamité et l’arabité de la Tunisie », explique Vincent Geisser. Parallèlement, Kaïs Saïed pourrait vouloir approfondir ses relations avec la Chine, l’Iran, la Russie et l’Algérie. Une manière de « s’affranchir des schémas traditionnels de coopération avec l’Occident, notamment l’Europe et les États-Unis. On ne peut pas encore parler de remise en cause de ce système d’alliance, mais il est clair que Kaïs Saïed est en recherche active d’alternatives aux partenariats historiques », souligne Vincent Geisser.