Le bilan des émeutes meurtrières au Kazakhstan est déjà lourd. Il s’élève à au moins 164 morts, dont 103 à Almaty, la capitale économique du pays, écrit TV5Monde. Ces chiffres ont été rapportés par plusieurs médias, citant le ministère de la Santé, mais n’ont pas pu être vérifiés de manière indépendante. Samedi 8 janvier, les autorités recensaient 26 manifestants et 16 policiers tués, ainsi que plus de 2000 personnes blessées. Le lendemain, elles ont indiqué avoir arrêté près de 6000 personnes. Bâtiments en feu, fusillades, déploiement de l’armée : les scènes sont chaotiques.

Tout a commencé le 2 janvier, quand des manifestants ont battu le pavé pour protester contre les prix du gaz naturel liquéfié (GNL) à Janaozen. Les manifestations se sont étendues jusqu’à Almaty et aux grandes villes du pays. Face à la contestation, le gouvernement est revenu en arrière et a concédé à réduire le prix du GNL. Mais, bien trop tard. Le président Kassym-Jomart Tokaïev a ensuite décrété l’état d’urgence, Internet a été coupé et la police a réprimé les manifestants en tirant à balles réelles.

Un avant et un après

Après avoir limogé son gouvernement le 5 janvier, Tokaïev a fait appel à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) pour lutter contre ce qu’il a nommé une “menace terroriste”. Cette organisation rassemble plusieurs ex-républiques soviétiques autour de la Russie et des milliers de troupes russes ont été envoyées pour aider à mater les manifestants. “Je remercie tout spécialement le président russe Vladimir Poutine. Il a répondu très rapidement, et surtout de manière amicale, à mon appel”, a déclaré le président. Pendant ce temps, il s’est montré toujours plus intransigeant avec les manifestants, refusant tout dialogue et autorisant les forces de sécurité à “tirer pour tuer.”

Au-delà de la hausse des prix du GNL, les causes de la révolte populaire au Kazakhstan, pays d’Asie centrale de 18 millions d’habitants, sont plus profondes. L’ex-président Noursoultan Nazarbaïev a régné sur le pays d’une main de fer de 1989, soit deux ans avant l’indépendance du pays à la suite de l’éclatement du bloc soviétique, jusqu’en en 2019, année où il a cédé sa place. “Mais Nazarbaïev n’est jamais vraiment parti, analyse pour TV5Monde le chercheur à l’IFRI Benjamin Levystone. Il s’est maintenu à la tête du Conseil national de sécurité, qui est la structure qui chapeaute toutes les forces de sécurité du pays. En dessous de lui, il y a un président en exercice qui est plutôt un ‘super Premier ministre’ et qui gère la politique intérieure et les mesures économiques. On a affaire à une sorte de présidence bicéphale.”

“C’est le système oligarchique qui a capté l’ensemble des ressources pétro-gazières qui est aujourd’hui dénoncé. Il y a un rejet d’une caste agrégée autour d’un homme qui, pendant trente ans, a confisqué tous les pouvoirs de ce pays. C’est cette problématique qui d’un coup explose”, poursuit le spécialiste. Il estime d’ailleurs que ce qu’il se passe actuellement est aussi historique qu’inattendu, pensant qu’“il y aura un avant, et un après.”