De Mary Mikhael, ex-présidente de la NEST, Ecole de théologie du Proche-Orient à Beyrouth

Au début ce que l’on appelle le «printemps arabe », de la Tunisie à la Syrie, on pouvait croire que tous ces événements étaient en relation directe avec le besoin de réformes, de liberté et de justice sociale. Des revendications partagées par toutes les personnes de ces pays. Quoi qu’il en soit, très rapidement, avec l’apparition de mots d’ordre islamiques, la question de la conception et de la place de la religion devint très tôt le sujet principal, qui allait influencer tous les événements d’une manière ou d’une autre. En Tunisie, il y eut des changements, mais en même temps, des idées islamiques sont apparues et ont été mises en pratique.

En Libye, les questions politiques, sociales et religieuses sont toutes mélangées… et cela apparut clairement, lorsqu’un groupe de chrétiens – de nationalité égyptienne – a été massacré publiquement pour la seule raison qu’ils étaient chrétiens, ils n’avaient aucun lien avec les événements ! Tous ceux qui étaient impliqués dans cette violence étaient des non-chrétiens, du coup, on ne peut s’empêcher de poser la question pourquoi les chrétiens étaient ciblés. L’intensité de l’usage de slogans islamiques devenait phénoménale.

En Egypte, où cela avait commencé de manière pacifique – une révolution qui demandait des changements, des réformes, plus de justice et de liberté – a fini par prendre un caractère profondément religieux. Des fondamentalistes islamiques ont pris le contrôle du pays. Un frère musulman devint président du pays. C’était tout le contraire des demandes de la révolution à ses débuts ! Pendant ce temps, la communauté chrétienne en Egypte devint une cible dans bien des endroits du pays. On dit que plus d’une centaine d’églises ont été attaquées dans de nombreux endroits du pays, des prêtres ont été tués et une hostilité évidente contre les chrétiens ne se cachait pas. Ceci arrivait dans tous ces pays, les chrétiens étaient attaqués alors qu’ils n’étaient en rien mêlés aux actes de violence. Pourquoi, voilà une question qui ne peut être évitée.

Le cas de la Syrie

Contrairement à tous les autres pays arabes, la Syrie était considérée comme un pays laïc, la religion de chacun est respectée mais n’est pas un sujet qui divise la société. «La religion appartient à Dieu, le pays appartient à tous » était une manière de parler courante. Encore une fois, comme en Tunisie et en Egypte, quand les événements débutèrent en 2011, c’était un mouvement demandant des réformes, plus de justice sociale, plus de liberté, plus de participation… Des problèmes réels pour lesquels des réformes s’imposaient. Un changement visant la réforme et le renouveau de la Syrie était nécessaire, et la majorité de la population l’aurait soutenu.

C’est un fait que la Syrie n’a jamais demandé la démocratie pour elle-même, tant que les syriens bénéficiaient d’une liberté relative et d’une sécurité quasiment parfaite. En même temps, la Syrie était contrôlée par le même parti politique depuis quarante ans. Et la majorité au pouvoir provenait du groupe musulman des alaouites, qui ne représente pas la majorité des syriens.

Accueil dans la paroisse protestante de Homs.

Très tôt dans la situation syrienne, des facteurs extérieurs apparurent aux côtés des acteurs. Et des voix arabes, demandant un changement de régime. La Turquie aussi émit la demande que le Président de la République de Syrie se retire. Alors la majorité des syriens commença à poser des questions, comme «qu’est-ce que la Turquie ou quelqu’autre pays que ce soit a à voir avec la Syrie ? » Et que pouvaient savoir les gens de l’extérieur sur ce que le peuple syrien souhaitait vraiment ?

Quand un sniper ne parlant pas arabe sur un toit dans la ville de Homs demande s’il est à Gaza… Et quand l’expression Allahou Akbar est utilisée lorsque l’on coupe des têtes, et quand un groupe de l’extérieur traverse la frontière de la Turquie en proclamant le Jihad, en disant que cette Syrie est le pays du prophète Mohammed, et qu’ils sont venus pour y mourir… : des slogans religieux, et l’utilisation abusive de la religion pour provoquer des émotions… Toute réflexion, toute analyse sur ce qui se passe amène à cette évidence que les choses sont reliées à la religion.

La guerre en Syrie est-elle une guerre religieuse ?

Puis arrivèrent les événements en Irak, et l’émergence de ISIS/ISIL1, clamant la création d’un état islamique et plaçant à sa tête un calife : assurément, on dira que cette guerre est sûrement une guerre de religion. Ou l’est devenue, et peu importe la manière dont tout a commencé.

Le fait que l’Etat islamique contrôle une partie de l’Irak et une partie de la Syrie (au Nord Est) et qu’il annonce la création d’un califat a fait prendre conscience à la communauté chrétienne de la menace qui pesait sur sa présence et sur son futur. Ce sentiment ne devait rien à l’imagination, car dans certaines régions, des choix comme ceux-ci étaient proposés aux chrétiens : se convertir à l’islam, quitter le pays ou être tué. Dans d’autres régions, lorsque des chrétiens choisissaient de rester dans leurs maisons, ils avaient à payer la « jizya ». Ainsi, beaucoup de chrétiens ont quitté leur résidence, sont devenus des déplacés dans leur propre pays ou ont émigré là où ils pouvaient aller. Cela est devenu une guerre religieuse, car la religion a été utilisée et détournée. De nombreux chrétiens ont été tués ou enlevés, leurs maisons ont été détruites, ils ont perdu leur gagne-pain, des prêtres ont été tués ou kidnappés, même deux évêques ont été enlevés et depuis trois ans, on n’a jamais su où ils se trouvaient, des églises chrétiennes ont été détruites, et des institutions chrétiennes ont été attaquées, même de vieux monastères chrétiens et des sites historiques ont été pris pour cibles. Mais il faut rester dans la vérité et dire que de nombreux musulmans ont également été tués.

En fait, les familles musulmanes ont beaucoup souffert, et le nombre de musulmans morts est audelà de tout comptage, des centaines de milliers ont perdu leurs vies et tout ce qu’ils possédaient. Nous avons une locution qui dit: « lorsque les sunnites et les chiites se battent, les chrétiens sont écrasés sous les sabots des chevaux». Est-ce qu’une telle guerre entre les musulmans va pousser les chrétiens hors du pays où la chrétienté est née et d’où les premiers missionnaires sont partis évangéliser le monde ? Dieu l’interdit. L’Eglise est bâtie sur le roc des générations passées, et le pouvoir de la mort ne pourra pas être victorieuse contre elle. A Dieu soit la gloire. Amen.