Par des touches successives, et hautement symboliques, il se construit l’image d’un homme simple, humble et recherchant la réconciliation. Il révolutionne la fonction pontificale mais pas forcément l’Église…
Après sa première messe dominicale, le pape François s’adonne à un bain de foule, sans doute pas totalement improvisé mais inédit. Alors qu’elle scande son nom et crie « Viva il papa ! », François prend le temps de saluer et de discuter avec les fidèles. Tout cela, bien entendu, sous l’œil avisé des caméras. Car, comme le pense Franck Bergeron, pasteur de l’Église Protestante unie, « le pape est un communiquant, pas un réformateur. L’Église catholique a changé de stratégie pour atteindre les foules : à l’inverse du passé, le pape arrondit les angles, fait de la com tandis que les évêques font la loi ». Quoi qu’il en soit, les chaînes de télévision et les radios propagent aussitôt l’image d’un pape brisant les barrières, les frontières qui le séparent de l’ensemble du peuple. Un pape accessible, simple, humain.
Des gestes symboliques
Le pape François a posé de multiples gestes confortant cette symbolique de l’accessibilité. D’abord, il renonce aux mules papales, de la couleur du pouvoir : rouges. Il préfère porter des chaussures noires, une couleur des plus traditionnelles, commune à la plupart des hommes de la planète. Ensuite, le véhicule auquel il recourt lors de ses déplacements est très souvent celui de la marque du pays. Ainsi, il s’affiche dans une Fiat 500L aux États-Unis (une marque italo-américaine) et dans une Ibuzu aux Philippines… La papamobile devient la voiture de Monsieur tout le monde ! Enfin, le pape François n’habite pas le palais pontifical mais la maison Sainte-Marthe. Même si les appartements de cet hôtel n’ont rien de la rugosité d’une auberge de jeunesse, ils n’ont pas non plus le faste du palais pontifical !
Des paroles fortes…
Mais ce pape n’en reste pas aux gestes symboliques ! Il sait prononcer des paroles fortes. Ainsi, en pleine crise migratoire, il dit aux catholiques : « Chers frères et sœurs migrants et réfugiés ! À la racine de l’Évangile de la miséricorde, la rencontre et l’accueil de l’autre se relient à la rencontre et à l’accueil de Dieu : accueillir l’autre, c’est accueillir Dieu en personne ! » Une parole forte, courageuse et fraternelle qui, malheureusement, n’a pas eu d’effet. François Clavairoly, Président de la Fédération protestante de France, analyse cela ainsi : « Un qui parle pour tous fait croire qu’un peut tout faire mais c’est un pieux mensonge. L’appel à la responsabilité individuelle, tel que le conçoit le protestantisme, à l’engagement communautaire, cet appel s’en trouve conforté et renforcé ».
…et œcuméniques
Ensuite, après sa publication d’Amoris Laetitia « La joie de l’Amour », et l’établissement par les évêques argentins d’un certain nombre de critères pour l’accueil des divorcés-remariés à la table eucharistique, le pape a dit : « Leur projet exprime pleinement le sens du chapitre 8 d’Amoris Laetitia ». Et d’ajouter : « Il n’y a pas d’autre interprétation ! ». Comme le souligne Jane Stranz, responsable du service des relations œcuméniques au sein de la Fédération Protestante de France, « le pape aurait pu passer sous silence ce projet argentin mais en le louant il valorise la démarche ». Il montre la voie vers laquelle les autres conférences épiscopales doivent aller. Dans un autre domaine, celui de l’unité de l’Église, l’actuel pape prononce des paroles hautement significatives. Au patriarche Cyrille de Russie, par exemple, il dit : « Nous voici enfin frères ! » Et, lors de sa visite à Turin, il n’hésite pas à demander humblement pardon aux protestants vaudois. Comme le fait remarquer François Clavairoly, Président de la Fédération protestante de France, c’est sans doute ce qui change aujourd’hui : « L’Église catholique romaine est aujourd’hui en dialogue avec tous les partenaires. Elle a conscience qu’elle ne peut pas être seule : elle est une parmi d’autres. Elle a probablement un rôle particulier à jouer mais avec d’autres. C’est la conséquence de la conscience de la mondialisation. »
Des écrits qui marquent et…
Peu de commentateurs ont relevé, comme le souligne Jane Stranz, que dans la « première exhortation papale, Evangelii Gaudium «La joie de l’Évangile», le mot réforme et le verbe réformer reviennent sans cesse. C’est le signe que François veut changer, pousser l’Église vers quelque chose de nouveau. C’est le symbole de sa volonté de faire redécouvrir à l’Église Catholique Romaine sa mission initiale, évangélique ». De même, sous l’impulsion du pape François, l’Église catholique se dote d’un écrit sur la sauvegarde de la création, Laudate si, « Sois loué [Seigneur] », remarqué et encensé dans l’Église et en-dehors de celle-ci. Enfin, dans Misericordiae vultus, « Le visage de la miséricorde », le pape François semble porter un autre regard sur les indulgences. Xavier Gué, dans un article récent, souligne qu’il n’est plus question de « gagner » ou « d’obtenir » des indulgences, que la distinction entre plénières et partielles a été abandonnée, que le « trésor des mérites » n’est plus évoqué et que le pape n’emploie plus le pluriel mais le singulier. Dans son esprit, il s’agit d’être au bénéfice de la Miséricorde du Père. L’indulgence de Dieu libère l’homme et le fait entrer dans une dynamique de changement. Si cette « réforme » langagière du pape reste pour le moins ambivalente, elle rappelle certaines intuitions de Luther, fondatrices de la Réforme.
… des écrits qui manquent !
Mais au-delà des gestes symboliques, des paroles fortes, des écrits exhortatifs, quelle(s) réforme(s) de l’Église le pape a-t-il initiée(s) ? Les synodes sur la famille ? Ils ont accouché d’une souris. Comme le souligne Michel Barlow, membre de l’Église Protestante unie de France, « les grands dossiers sont au point mort. Comme par le passé, on a l’impression que l’Église Catholique est soucieuse de ne pas bouger. Comme dit un personnage du roman Le guépard, «on doit donner l’impression que tout bouge pour que rien ne bouge !» » L’accueil des divorcés-remariés, par exemple, est sur une voie de garage, tout comme la place des femmes dans l’Église, sans parler du ministère féminin et du célibat des prêtres. Comme beaucoup de protestants, François Clavairoly, Président de la Fédération protestante de France, « attend des textes et non des paroles ou des images. Ou plus exactement : l’Église Catholique est en droit d’attendre des textes et pas seulement du son ou de l’image. Jean Paul II avait tenté d’ouvrir une brèche sur la compréhension du ministère de communion et cela n’a pas été suivi d’effet. Il en va de même pour l’accord de 1999 sur la justification. Le champ des accords œcuménique est en jachère depuis 15 ans. » La véritable réforme, comme le pense Michel Barlow, serait de revenir à Vatican II et d’appliquer les mesures du Concile. Autrement dit : la réforme de l’Église catholique n’est incarnée qu’en apparence par le pape François. Elle est déjà advenue et reste pleinement à venir…