«La paix règne au Manipur», assurait fin août Biren Singh, ministre en chef du petit Etat du nord-est de l’Inde. Pourtant, depuis mai, son État reste au bord de la guerre civile, déchiré par un conflit interethnique et religieux entre les Meitei (l’ethnie dominante à majorité hindoue) et les Kuki (à majorité chrétienne). «Rien qu’aujourd’hui, des gens sont morts dans de nouvelles violences pour le contrôle de villages à la limite entre la plaine des Meitei et les collines des Kuki», commente Michael Lunminthang, politologue à l’université Ambedkar de New Delhi. Selon lui, il ne sera pas question de mois mais d’années, voire de décennies avant que le conflit ne s’apaise.

Non, la paix qui prévalait dans le Manipur avant le 3 mai et le début soudain du conflit, n’est pas revenue dans cet Etat grand comme deux fois la Suisse romande et peuplé de plus de 3 millions d’habitants. Les routes principales sont toujours entrecoupées de checkpoints, tenus par des militants de chaque bord, sous la surveillance passive de l’armée indienne. Dans les zones proches de ce qui est aujourd’hui de fait une frontière, environ 200 personnes sont mortes. Soixante mille déplacés vivent dans la promiscuité dans des centaines de camps de réfugiés, des deux côtés de la ligne de front. Dans la campagne, on aperçoit quelques-unes des milliers de maisons qui ont brûlé depuis le mois de mai ainsi que çà et là des églises incendiées.

Extrémisme hindou

Les raisons du conflit sont aussi complexes que la population du Manipur peut être diverse avec sa constellation d’ethnies. Officiellement, le conflit serait uniquement ethnique et territorial, déclarent les membres des différentes communautés kuki, meitei et même naga – une autre fédération de tribus à majorité chrétienne, restée neutre dans le conflit.

Néanmoins, en «off», certains confient voir derrière la soudaineté et simultanéité des premières violences le concours de groupes extrémistes hindous proches du pouvoir central et local, nourris par l’hindutva, une idéologie politique qui veut faire de l’Inde une nation hindoue. Et parmi les 356 églises détruites depuis mai dans le Manipur, «249 appartiennent à la minorité chrétienne meitei, ciblée par des extrémistes hindous de sa propre ethnie», souligne l’archevêque catholique d’Imphal, Dominic Lumon. Une douzaine de temples hindous et sanamahis (la religion animiste historique des Meitei) ont également été incendiés.

Tous s’accordent cependant à dire que l’ordonnance de la Haute Cour du Manipur recommandant en avril au gouvernement local d’ajouter la communauté meitei, majoritaire, à la liste des tribus répertoriées (dont sont membres les Kuki et les Naga) n’est pas la seule raison derrière le conflit. «Ce statut de tribu répertoriée accorde des droits supplémentaires et des mesures de discriminations positives à ceux qui en bénéficient: quotas dans la fonction publique et les universités, avantages fiscaux ainsi que la possibilité d’acheter du terrain dans les collines. Les Kuki, ainsi que les autres tribus ont perçu cet éventuel […]