Pap Ndiaye est historien spécialiste du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis.
En septembre, le président Donald Trump «prêchait» dans une église noire de Détroit. Comment comprendre ce rapprochement a priori impensable?
Pap Ndiaye : L’incursion de Trump dans cette église n’était rien de plus que de l’opportunisme. Son discours était rempli de commisération méprisante. Il expliquait à l’assemblée qu’elle n’avait plus rien à perdre en votant pour lui. Les républicains n’ont plus pour objectif de gagner l’électorat noir, mais bien de limiter sa participation aux élections.
Les dernières élections ont d’ailleurs été marquées par une faible participation de l’électorat noir américain.
P.N. : L’élection de Trump y est directement liée. Car cet électorat est essentiel à la victoire des démocrates, depuis les années 1960. Or Hillary Clinton n’a pas su mobiliser la communauté noire. Sans compter que personne ne croyait à la victoire du candidat républicain. Quant aux Eglises noires, elles restent prudentes lors des élections et ne donnent pas de mot d’ordre. En 2008 et 2012, pourtant, la mobilisation des réseaux communautaires religieux était forte et avait compté dans des villes comme Chicago.
Cet événement marque-t-il la fin du pouvoir que les Eglises noires américaines détenaient, notamment lors du développement du mouvement des droits civiques?
P.N. : Dans les années 1960, les Eglises noires américaines ont porté un discours progressiste de nature politique. Les sermons ne concernaient pas seulement une libération future, dans la Jérusalem céleste, après notre mort. Ils parlaient de ce qu’il était possible de faire sur Terre. Il y avait une tradition d’évangélisme social et d’engagement pour dénoncer la pauvreté et interpeller l’Etat. Dans un contexte de ségrégation raciale, les fidèles venaient chercher une parole politique dans les sermons du dimanche matin. Mais, depuis les années 1970, les Eglises n’ont pas échappé à la poussée conservatrice de la société.
Les Eglises noires ont donc baissé les bras?
P.N. : Je pense que leur pouvoir a diminué. La société s’est sécularisée, la pratique religieuse est moins importante qu’elle ne l’était. Il y a aussi un reflux politique et des déceptions face aux acquis des années 1960. Ce repli est accentué par l’arrivée au pouvoir de présidents conservateurs.
Les Etats-Unis vont-ils vivre un nouveau mouvement des droits civiques ?
P.N. : Je l’affirmais il y a un an. Trois éléments vont dans le sens d’une nouvelle confrontation politique noire américaine face au pouvoir. Il y a la violence policière d’abord, qui a donné naissance en 2013 au mouvement Black lives matter (la vie des Noirs compte). On assiste aussi à des tentatives répétées pour restreindre le droit de vote. Si la loi de 1965 garantit ce droit aux Noirs, elle est aujourd’hui contournée par des dispositifs administratifs, à l’image des horaires réduits des bureaux de vote ou de la nécessité de présenter des papiers d’identité avec photo, que tous ne possèdent pas. Enfin, les bas salaires dans le Sud des Etats-Unis suscitent des mécontentements. A l’échelle fédérale, le salaire minimum est de 7,25 dollars de l’heure (ndlr : 7,05 francs).
Les Eglises prennent-elles part à ces mouvements?
P.N. : C’est toute la question. Vont-elles sortir de leur prudence pour retrouver la mobilisation et le savoir-faire qu’elles ont développés dans les années 1960 ? Il faut encore attendre pour voir si ce christianisme progressiste et engagé va renaître et contribuer aux forces de résistances à Trump.
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Edition Genève du mois de Mai 2017