De Carine Lahoud-Tatar et Carole Al-Sharabati, Institut des études politiques de l’Université Saint-Joseph, Beyrouth
Ce qui fut à l’origine un soulèvement populaire dans la bourgade de Deraa, courant mars 2011,contre la dictature du régime de Bachar al-Assad ne tardera pas à se diffuser à une grande partie du territoire pour se transformer en une guerre civile qui opposera à ses débuts le maître de Damas et ses alliés au camp des rebelles. Très rapidement, les dynamiques internes révolutionnaires vont être rattrapées par le jeu géopolitique des acteurs internationaux et régionaux et l’ancrage jihadiste qui ont tendance aujourd’hui à masquer les aspirations à l’émancipation du peuple syrien.
Selon les Nations-Unies, le conflit en Syrie a provoqué la pire crise humanitaire que connait actuellement le monde avec près de 300000 morts, sept millions de déplacés internes et cinq millions de réfugiés. Cette onde de choc a déstabilisé le Liban qui a accueilli près de 1,5 million d’exilés depuis 2011, faisant de ce petit voisin, le pays avec la plus forte densité de réfugiés au monde, soit un réfugié pour trois habitants. Cette crise affecte en premier lieu les enfants (âgés de moins de 18 ans) qui représentent plus de la moitié de cette population vulnérable et pour qui l’accès à l’éducation demeure un des grands défis de la réponse humanitaire.
Le Liban n’est ni une destination finale, ni un pays d’asile
Ainsi, en 2015, 655000 enfants syriens sont en âge d’être scolarisés, soit deux fois plus que le nombre d’élèves libanais inscrits dans les écoles publiques, doublant les capacités d’accueil et l’espace requis pour répondre à leur besoin. La position officielle de Beyrouth est très claire : le Liban n’est ni une destination finale, ni un pays d’asile, et encore moins de réinstallation. Justifiant celle-ci par le fait que le Liban n’a pas ratifié la convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugiés, les autorités refusent d’accorder la protection internationale aux Syriens ayant fui la guerre. Ainsi, la réponse du gouvernement libanais reste donc exclusivement humanitaire – aide et assistance – et rejette toute forme d’intégration socio-économique.
Dans cette perspective, une stratégie nationale en matière d’éducation, Reaching all children with Education, soutenue par les donateurs internationaux, combinant les impératifs de souveraineté nationale du pays d’accueil et d’assistance et protection aux réfugiés, a été formulée à la fois pour développer la résilience des communautés hôtes face à la crise syrienne et limiter autant que possible les effets dévastateurs d’une génération perdue qui un jour sera appelée à reconstruire son pays.
Cette politique aura permis certes de doubler le nombre d’enfants syriens scolarisés mais n’a bénéficié véritablement qu’à la catégorie des 8-12 ans résidant dans les zones urbaines. En revanche, ceux des régions rurales et les adolescents restent en grande majorité en marge du système éducatif alors que leurs besoins sont les plus criants. L’abandon scolaire résulte des difficultés d’apprentissage liées à la langue d’enseignement, des frais des transports, de la distance, des relations tendues avec les enseignants, de l’insécurité et de la clandestinité .Cette situation est un facteur de déstabilisation du Liban et porte en elle les germes de tensions intercommunautaires.