Entre 2009 et 2021, Brice Deymié a été aumônier national de prison de la Fédération protestante de France, avant de devenir pasteur de l’Eglise protestante française de Beyrouth où il se trouve aujourd’hui. Là, il souhaiterait rendre visite aux personnes détenues francophones. Il nous livre son expérience pertinente, bien que limitée, du milieu carcéral libanais.

Les établissements pénitentiaires sont-ils nombreux au Liban ?

Pour une population de 6,8 millions d’habitants, on compte environ 7000 personnes détenues. La plus grande prison qui se situe à Roumieh, accueille plus de la moitié de la population carcérale. Il existe vingt-cinq établissements pénitentiaires mais la plupart ressemble davantage à des postes de police.

Quelles sont les conditions de vie à l’intérieur de l’établissement de Roumieh ?

Elles sont terribles. Le taux d’occupation est de 300%. Les personnes détenues en surplus dorment par terre à même le sol dans des salles communes. Aucune intimité. La moitié d’entre elles sont en attente de jugement. Bien que la loi encadre la détention provisoire dans des délais, depuis 2019, ils sont largement dépassés. En raison de grèves dans les tribunaux, les jugements sont reportés indéfiniment. La justice fonctionne mal. Ceux qui paient le prix le plus lourd sont ceux qui sont incarcérés sans savoir à quoi s’en tenir. Un pays qui s’effondre se voit à travers sa justice. C’est le problème principal.

Il existe également un problème alimentaire important. L’Administration pénitentiaire fournit une nourriture en quantité insuffisante. Jusque-là, la population carcérale complétait en achetant à bas prix des produits vendus par une épicerie à l’intérieur de la prison mais depuis la crise, les marchandises sont réduites et les prix augmentent. De plus, les familles qui apportaient une aide, assurent de moins en moins de visites car les transports sont trop chers. A cela s’ajoute un problème médical. Aucun médecin n’est rattaché à la prison. Les hôpitaux exigent d’être réglés avant d’intervenir. L’Administration pénitentiaire n’ayant plus les moyens de régler leurs factures, les médecins ne se déplacent pas.

Les surveillants font partie du personnel de la police et n’ont aucune formation spécifique. Ils ne sont plus payés ou mal. Il existe donc de nombreux cas de corruption ou de mauvais traitements en toute impunité. De temps en temps, des évasions spectaculaires se produisent. L’absence totale de SPIP fait qu’aucune préparation à la réinsertion n’est mise en œuvre. L’Eglise a organisé une campagne pour fournir des produits d’hygiène. Beaucoup d’associations prennent en charge ce rôle mais avec une certaine instabilité. Quand la population d’un pays est en grande difficulté, elle ne se préoccupe pas d’abord des personnes détenues.

A quoi ressemble la population carcérale ? Quel type de délinquance ?

La pression migratoire est dramatique dans tout le pays. Une grande tension règne dans la communauté syrienne dont les membres sont presqu’aussi nombreux que les Libanais. En prison, on retrouve une forte proportion de personnes détenues d’origine syrienne que le gouvernement voudrait renvoyer à Damas. Mais ces individus se rebellent et refusent de partir car leurs conditions risquent d’être pire. Les infractions les plus nombreuses sont liées au trafic de stupéfiants, ainsi qu’aux violences intrafamiliales.

L’aumônerie protestante est-elle présente ?

Oui, c’est elle qui est la plus fiable. Les aumôniers sont là contre vents et marées, alors que les associations ne viennent pas régulièrement. L’aumônerie protestante est assez proche de la nôtre en France. Elle est soucieuse de l’accompagnement spirituel et social : elle va à la rencontre de la personne. C’est sa force de ne pas être uniquement dans le rituel comme d’autres confessions. Elle fait un bon travail social et assure une présence réelle. Les rencontres ont lieu dans de grandes salles. L’accès est plus facile chez les femmes. Les aumôniers protestants au Liban sont essentiellement d’origine baptiste. La Fédération protestante du Liban se désintéresse totalement d’eux et considère leur activité comme marginale.

Au milieu du chaos généralisé dans ce pays, Brice Deymié prépare une célébration à l’occasion du centenaire de l’Eglise protestante française de Beyrouth en 2025.