Par Philippe Verseils, secrétaire général de la MPEF
Peut-on alors encore se revendiquer comme mission populaire évangélique ?
Déjà certaines mairies ou services publics nous demandent de passer ce mot sous silence et peut-être, effectivement, pour éviter toute confusion entre ces mouvements prosélytes sectaires et le nôtre, pourrions-nous, pourquoi pas, le remplacer par le mot plus neutre aujourd’hui de protestant ?
Mais il me semble pourtant que la question est plus qu’une simple question de formulation ou de clarification. Elle nous interpelle plus profondément et nous oblige à nous demander s’il n’existe pas un lien entre ces évangéliques et nous ?
Peut-on vraiment dire, même si l’on se distancie et s’oppose avec virulence sur le plan théologique, éthique, idéologique et politique, que ces églises évangéliques n’ont rien à voir avec nous ? Peut-on les cantonner aux soutiens plus que douteux et même contre nature qu’elles apportent aux dictateurs des temps modernes ou est-ce que la dynamique qu’elles incarnent n’est pas plus complexe ?
La mission populaire évangélique de France est issue du mouvement du réveil et de la vision missionnaire et d’évangélisation du pasteur écossais Robert Mac All. Et même si la mission populaire a beaucoup évolué dans ses actions, son fonctionnement et ses objectifs et si les salles d’évangélisation ont petit à petit laissé la place à des structures à caractère social, peut-on dire que nous n’avons rien à voir avec ces églises évangéliques en pleine expansion au sein des milieux les plus populaires et déshérités d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie ? N’est-ce pas aussi au même Évangile que nous nous référons ?
Peut-être au fond que ces églises évangéliques font ressurgir notre « part du diable » 1 comme la nomme Michel Maffesoli. Dans l’ouvrage qui porte ce titre, il dit que la pire dérive totalitaire vient de la volonté illusoire d’extirper le mal et de croire en une pureté atteignable individuelle comme collective. Pour lui, s’il ne s’agit pas de s’accommoder du mal ni de cesser de le combattre, croire qu’un jour il puisse être éradiqué est la pire dérive qui mène à tous les intégrismes, rigorismes, moralismes et radicalismes.
Nommer et reconnaître sa toujours présente « part du diable » peut nous permettre de mener, avec lucidité et humilité, notre vrai engagement pour la vie, la justice… et l’Évangile.
1 Michel Mafessoli, « La part du Diable », Flammarion 2002