Salwa Zakzak est syrienne, écrivaine, formatrice, conférencière, elle vit à Damas. Invitée à Hanovre et Berlin par le Conseil œcuménique des Églises1 pour évoquer l’identité syrienne et l’avenir de son pays, elle raconte son engagement en faveur des femmes, alors qu’elle est de passage en France.
J’étais à l’université lorsque je me suis engagée, en 1982, dans le Rassemblement des femmes syriennes. L’association compte deux cents membres, elle est tolérée par le gouvernement tant qu’elle ne fait pas de politique. Je suis née dans une famille qui bataille depuis des générations pour les droits des femmes et je poursuis la lutte. J’écris des articles dans cinq journaux et, depuis la guerre, je m’exprime beaucoup sur les réseaux sociaux2 . Je suis régulièrement invitée en Europe.
Parler de la femme est risqué
Dans mon pays, quand on parle de la femme, on prend des risques. Certaines choses progressent en Syrie, d’autres empirent. Aujourd’hui, les femmes sont plus nombreuses à travailler et à rejoindre des associations qui défendent leurs droits. Certaines arrivent à quitter leur famille pour s’installer seules, parfois en cachette. Mais la pauvreté est extrême – 85 % des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté – et elles sont les premières touchées.
Les hommes vont faire la guerre, le taux de mortalité est très élevé. Beaucoup émigrent aussi. Avant la guerre, il y avait 51 % de femmes en Syrie. Aujourd’hui, elles représentent 62 % de la population ; les hommes qui restent sont souvent incapables de travailler, ils sont blessés de guerre ou trop âgés. Dans certains villages, il n’y a plus d’hommes. La femme est obligée de trouver des solutions pour subvenir aux besoins de sa famille.
Avant la guerre, on ne parlait pas des femmes, de l’éventualité qu’elles travaillent, aillent à l’université ; elles ne sont pas préparées par leur éducation, sur le plan social, administratif, à affronter les problèmes. Personne ne les protège, les lois sont davantage en faveur des hommes que des femmes. Je parle avec elles, je leur apprends à faire face aux problèmes sociaux, économiques et à revendiquer leurs droits, porter plainte, aller au tribunal, monter une petite activité pour être autonomes financièrement.
Les Syriennes subissent toutes sortes de violences
La Syrie met beaucoup de lignes rouges, pour chaque catégorie et sexe. Les hommes, les femmes, les chrétiens, les musulmans… De loin, la société syrienne paraît ouverte, on pourrait croire que les femmes sont libres mais ce n’est pas le cas. Malgré les nouvelles lois, les choses n’avancent pas à cause de la tradition : les femmes ont beaucoup de mal à vivre seules, obtenir leur part d’héritage, être propriétaires, bénéficier de la même justice que les hommes, demander le divorce… Elles subissent toutes sortes de violences morales, politiques, sexuelles, financières.
Depuis cinq ans, j’écris les témoignages de Syriennes victimes de violences. Chacune raconte son histoire, un cinquième recueil va être prochainement publié. Bientôt, les femmes pourront s’exprimer sans risque dans des podcasts, grâce à « la langue de la paix », une langue simple et efficace qu’elles ont élaborée et qui leur permet de parler sans prendre aucun risque. En les écoutant, d’autres seront encouragées à prendre la parole à leur tour.
Les femmes ne sont pas faibles, elles sont fortes. Elles peuvent faire la différence, générer le progrès, sauver la société.
Propos recueillis par Brigitte Martin
Traduction de l’entrevue : Kinan Alzouhir