Aller dans un pays ravagé par la guerre et la pauvreté et payer son voyage en y mettant toutes ses économies. Vivre un moment à part, comme le dit Jean Hatzfeld, « dans le nu de la vie », cela a été possible. Tout d’abord par le pasteur Majagira Bulangalire, de la paroisse d’Elbeuf (début des années 2000), pasteur également de la paroisse de Kiliba. Il a crié au secours dans nos paroisses pour aider son village. Et par le docteur ophtalmologiste Jean-Marc Bineau, du Havre, qui depuis des décennies offre plusieurs semaines de son temps libre pour soigner et opérer des patients du bout du monde.

Le docteur Bineau sait s’entourer de personnes compétentes sur lesquelles il peut compter. Ainsi, Marie-Jo D., infirmière dans l’âme, qui a déjà travaillé de nombreuses années avec lui, adhère au projet. Premier voyage en 2004. Il y en aura sept.

Un choc

Dans l’avion, les bagages sont constitués presque exclusivement du matériel qui va servir pour la mission. Car l’hôpital de Kiliba manque de tout. L’équipe est accueillie au village à bras ouverts par ses responsables. Mais quel choc : ce lieu de vie est dévasté physiquement et moralement par une guerre fratricide et nous sommes en pleine épidémie du SIDA. L’hôpital n’a ni eau ni électricité. Une hygiène très relative, des gens qui ne mangent pas à leur faim. C’est dans ce contexte que l’équipe arrive avec des lunettes, du matériel pour opérer de la cataracte et les consommables qui vont avec. Tout le personnel de l’hôpital, boosté, participe avec joie à cette action.

Ce qui est extraordinaire dans l’ophtalmologie, c’est qu’il ne faut pas une grande infrastructure. Les gens arrivent souvent aveugles, sont opérés d’un œil, et le lende- main repartent seuls. Le travail de chirurgie demande une attention constante, dans une pièce fermée, à 40 degrés. Aucun faux mouvement, aucune erreur n’est tolérée. Et surtout ne pas se blesser, à cause du SIDA.

L’essentiel de la vie

Les opérations s’enchaînent toute la journée. Cela peut se terminer en soirée à la lampe frontale. Le soir, chacun raconte sa journée. Après un repas frugal, il faut se coucher de bonne heure pour reprendre des forces.

Ce rythme est quotidien, sauf le dimanche, où l’équipe peut rejoindre l’église de Kiliba, de 9 h à 14 h : 700 personnes, dans une ambiance recueillie où les chorales se succèdent. L’après-midi, l’équipe est invitée au bord du lac Tanganyika pour un bon bain et une bonne bière…

Après avoir été chaudement remerciée, l’équipe qui vient de passer trois semaines intenses va reprendre l’avion. L’action est terminée et bien terminée. Le corps et l’esprit de chacun se remplit d’un immense bien- être, les visages irradient. Plusieurs centaines de villageois ont reçu un soin et tous ont retrouvé la vue.

Pour le groupe revenu en France, c’est un autre défi : se réhabituer à tout ce qui est superflu dans notre existence ! Ces gens complètement démunis mais d’une grande vitalité et une grande foi nous ont montré l’essentiel de la vie.

Le groupe n’a qu’une seule idée: revenir l’année prochaine pour continuer la mission. Celle-ci a commencé il y a 20 ans avec ses aléas et ses moments sublimes et nous la poursuivons aujourd’hui sous d’autres formes. Les moments vécus là-bas représentent pour nous un des points forts de notre vie.

Par Martine Durand Bénévole, pour la scolarisation des filles à Kiliba