Les chrétiens syriens, environ 10 % de la population avant la crise, étaient engagés dans tous les aspects de la vie publique, avec des représentants au Parlement et souvent des ministres participant au gouvernement.
Le statut des communautés religieuses est protégé
Actuellement, comme avant la crise, les chrétiens syriens sont considérés comme des citoyens à part entière, jouissant de tous les droits. De nombreuses Églises gèrent des institutions reconnues pour la qualité de leurs soins et le respect de la dignité humaine qu’elles mettent en avant : dispensaires, foyers pour personnes âgées, orphelinats… Elles disposent aussi d’écoles dont certaines ont été fondées au XIXe siècle et sont réputées pour la qualité de leur enseignement et les valeurs qu’elles dispensent.
Les chrétiens ont aussi leurs publications, comme des magazines de l’Église et des journaux axés sur la vie spirituelle et sociale et ils peuvent publier et distribuer la Bible et des livres religieux. Ils peuvent tenir des réunions et conférences dans les églises et en dehors. Toutes ces activités sont cependant à organiser en coordination avec la police de la sécurité et après avoir obtenu les autorisations des autorités.
Malgré de nombreux affrontements par le passé, comme à Damas en 1860, les chrétiens syriens entretiennent de bonnes relations avec leurs compatriotes musulmans et vivent une coexistence pacifique. Ils conjuguent leurs efforts dans de nombreux secteurs et activités.
Vint la crise
La crise syrienne a éclaté le 15 mars 2011, après de violents incidents entre les forces de l’ordre et des contestataires à Daraa, dans le sud de la Syrie. De nombreuses manifestations contre le régime ont suivi. Des musulmans sunnites sortaient des mosquées chaque vendredi après la grande prière pour des manifestations qui devenaient de plus en plus violentes. Puis ce fut la violence pour la violence, sous le contrôle de groupes radicaux islamiques comme le Front al-Nosra et Daech.
Les mouvements d’opposition, dès le départ, n’ont pas attiré les chrétiens, en raison de leurs contenus islamiques et de leur agenda politique. Et quand les mouvements sont devenus violents, les chrétiens se sont sentis menacés. Les groupes d’opposition, en particulier les groupes armés islamiques, ne proposaient en rien une alternative positive au pouvoir. Le régime syrien offrait à tous les citoyens la liberté religieuse et sociale, avec un niveau de sécurité élevé. Mais cela ne suffisait pas aux groupes d’opposition qui voulaient, dès le départ, la liberté politique et la justice économique, en particulier dans les régions rurales et marginalisées. Malheureusement, les groupes islamiques se sont emparés du mouvement et l’ont détourné. Liberté et justice n’étaient pas leur propos. Tout ce qu’ils voulaient, c’était imposer la loi islamique de la Charia à tous les citoyens.
Sachant cela, la majorité des chrétiens ne s’est impliquée dans aucune activité avec les groupes d’opposition, surtout lorsqu’il s’agissait d’actions violentes. Celles-ci, destructrices pour le pays et la vie en Syrie, ne pouvaient leur convenir. Peu de chrétiens se sont impliqués politiquement contre le régime et peu nombreux étaient ceux qui réclamaient ouvertement la démocratie, des élections libres, la liberté politique et la justice économique.
Les chrétiens syriens – comme d’autres civils non armés – ont eu à subir la violence qui sévissait entre les groupes d’opposition radicaux et le régime. Dans de nombreuses régions, ils se sont trouvés pris entre deux feux, et ont dû tout quitter. Cela a provoqué des déplacements massifs de population.
Homs, Alep et la Djézireh sinistrés
Homs, vieille cité au centre ouest de la Syrie, en est un exemple. La violence a éclaté à l’été 2011, et en février 2012, 50 000 chrétiens avaient dû quitter maisons, magasins, bureaux, églises et partir vers des régions à majorité chrétienne comme la vallée des Chrétiens à l’ouest, ou des villages chrétiens à l’est tels Fairouzeh et Zaidal. Seuls 83 sur 50 000 chrétiens sont restés dans la vieille ville, coupés de l’extérieur, accompagnés par le Père jésuite hollandais Frans van der Lugt. Après 26 mois, en avril 2014, un accord entre l’armée syrienne et les groupes d’opposition sous l’égide des Nations Unies, permit la libération de la ville. Mais juste avant, le Père Frans fut délibérément assassiné par un combattant islamique.
Un deuxième exemple est celui d’Alep où vivaient 350 000 chrétiens. A cause de la violence qui éclata entre les groupes d’opposition armés et le régime syrien, plus de 300 000 chrétiens quittèrent la ville. Alep avait une communauté arménienne forte de 60 000 personnes : ils sont moins de 10 000 aujourd’hui.
Un troisième exemple concerne la province de la Djézireh, dans l’est du pays, où il y avait la plus grande population de chrétiens syriaques et assyriens de Syrie. En raison des combats entre différents groupes dont les kurdes, l’État islamique et le régime syrien, les chrétiens ne sont actuellement plus qu’une petite minorité de quelques milliers de personnes.
Continuer, malgré tout…
En dépit de toute la violence et de ses conséquences funestes, les chrétiens restés en Syrie continuent de témoigner de l’Evangile. En tant que citoyens, en ne s’impliquant pas dans la violence et la destruction, en aidant tous ceux qui ont été déplacés et ceux qui ont souffert de la guerre…
Les Églises et les organisations confessionnelles ont distribué des colis de nourriture et des kits d’hygiène, sans discrimination de religion ou d’origine, une belle preuve de l’amour de Dieu pour tous. Elles ont aussi – avec l’aide de leurs partenaires – rénové des églises, des maisons et des magasins dans le but d’aider les chrétiens à revenir d’où ils sont partis, pour que leur présence continue d’être un témoignage dans la société.
Par Salam Hanna, pasteur du Synode Arabe à Lattaquié
Précision
Salam Hanna, pasteur du Synode Arabe à Lattaquié, nous livre sa compréhension du conflit en lien avec le vécu de la communauté chrétienne en Syrie. Cette vision peut paraître en décalage avec l’analyse avec nos médias occidentaux, mais je peux témoigner qu’elle est sincère. Notre presse met l’accent sur les brutalités du régime de Bachar el Assad et la cruauté de l’Etat islamique mais néglige souvent les exactions des groupes rebelles islamiques dont ont eu à souffrir les populations, notamment les chrétiens de Homs et d’Alep. Pour avoir souvent échangé avec les chrétiens syriens, je sais qu’ils ne sont pas naïfs à l’égard du régime dont ils connaissent la corruption, le contrôle et l’arbitraire. Pour autant, de leur point de vue et de leur expérience douloureuse, il n’y avait pas d’alternative du côté rebelle pour leur survie en tant que communauté chrétienne.
Mathieu Busch