J’ai choisi de parler du féminisme d’inspiration marxiste (plus exactement du féminisme de la reproduction sociale), parce que c’est un féminisme centré sur la vie des femmes dans ce qu’elle a de quotidien et d’ordinaire, un féminisme centré sur les femmes pauvres, les migrantes, les femmes de couleur, celles qui travaillent dans des métiers mal payés et qui se chargent des tâches ménagères et de l’éducation des enfants. À ce titre, ce féminisme peut intéresser le christianisme social.

Le féminisme de la reproduction sociale interroge le concept de travail à partir du travail féminin dans ce qu’il a de spécifique. Le travail domestique des femmes et le travail de care, de soin de la vie, a été – et reste encore – considéré comme du non-travail, comme une activité naturelle: il serait naturel que les femmes procréent, élèvent les enfants, fassent le ménage, etc. Ce féminisme montre que le concept de travail a été pensé et est encore largement pensé à travers un biais sexiste et qu’il faut donc le repenser en prenant en compte le travail des femmes.

Je voudrais enfin montrer que «le travail de production de la vie» (selon l’expression de l’écoféministe matérialiste Maria Mies), travail majoritairement effectué dans le monde par des femmes – en particulier des femmes pauvres et des femmes de couleur – est fondamental, c’est-à-dire au fondement de la société et de l’économie, comme la pandémie du Covid nous l’a montré. Les luttes dans ce domaine ne sont donc pas des luttes secondaires, elles sont au contraire essentielles et peut-être même porteuses de la société à venir. Le féminisme de la reproduction sociale est un féminisme anticapitaliste; il apprend des luttes des femmes, il pense avec Marx, théoricien du capitalisme, mais aussi contre Marx, en critiquant le biais sexiste et productiviste du marxisme. Je me référerai à trois théoriciennes – Nancy Fraser, Silvia Federici et Maria Mies – et à trois concepts – reproduction sociale (ou production de la vie), accumulation primitive et subsistance. Je laisserai de côté d’autres théoriciennes du travail domestique, notamment des militantes et théoriciennes des années 1970 en France, comme Christine Delphy et Danièle Kergoat.

  1. Le capitaliste, le travailleur et sa femme
    Je commencerai par distinguer, dans le capitalisme, la production économique et la reproduction sociale, autrement dit la production des marchandises et la production de la vie. Dans l’économie capitaliste, le travail est un travail salarié. Le salaire ne rémunère pas le travail accompli, mais, selon Marx, la valeur de la force de travail. Il y a donc une exploitation de l’ouvrier par la production d’une plus-value empochée par le capitaliste. Pour que le capitalisme fonctionne, il faut […]