L’histoire du coronavirus, c’est celle de la rencontre entre un virus et un milieu épidémiologique favorable. Le virus est un peu comme une pièce de monnaie, il n’a pas de valeur intrinsèque, seulement un potentiel d’achat. Son marché? Huit milliards d’hommes qui constituent une cible particulièrement accueillante parce qu’ils aiment se rassembler. Un Graal pour le virus ! Car sans hôte, le virus n’est rien.

Il y a bientôt un siècle, le virus du sida est sorti de la forêt, au Congo. Les hommes ont défriché et planté des arbres fruitiers. Les chauves-souris, porteuses de virus, se sont régalées. En déposant leur salive sur les fruits, elles ont infecté les singes. Dans les années 1945-1950, le virus est passé silencieusement du singe à l’homme. D’abord dans des villages isolés. Sans grand tapage. Puis, quand de grands ports ont été construits en Afrique, le virus a trouvé un terrain propice pour se développer. Et s’expatrier. Avec le virus Ebola, ce fut le même scénario. Les infections virales partent toujours de la forêt primaire. Les contacts de l’homme avec les chauves-souris existent depuis des milliers d’années. Il en existe plus de mille espèces ; elles représentent un tiers de la population mondiale des mammifères. Leur écosystème est extraordinairement corrélé à la façon dont on exploite les forêts. Elles ont une très grande capacité immunitaire et sont de véritables réservoirs à coronavirus. En 2003, des chauves-souris ont été vendues sur les marchés en Chine et ont contaminé des civettes et des furets avec le SRAS-CoV-1. Sa gravité paradoxale (mortalité de 15 %) et la rareté des formes asymptomatiques ont conduit les humains à se protéger de la contamination alors que le SRAS-CoV-2, par la fréquence des formes asymptomatiques, rend la contamination silencieuse et invisible.

En 2019, en Chine, 90 % des deux cents millions de porcs élevés dans le pays sont morts à cause d’un myxovirus. Les Chinois ont cherché un succédané. On a assisté à un afflux énorme d’animaux sauvages sur les marchés. Selon toute probabilité, il y a eu au même moment de gigantesques banquets pour fêter l’année du Rat. La Covid-19 a découvert un boulevard et s’y est engouffrée.

L’exploitation de la forêt primaire fait émerger les virus et réduit la biodiversité. Ce faisant, elle restreint le nombre d’espèces culs-de-sac épidémiologiques. Lorsque le virus évolue au milieu d’une multitude d’espèces et qu’il en contamine une, ce n’est pas dramatique. Mais s’il n’y a qu’une seule espèce, et qu’elle est réceptive et nombreuse, le virus va se propager en un clin d’œil. La biodiversité n’est pas un concept philosophique abstrait, réservé aux doux rêveurs, mais un sujet grave. Elle a un rôle protecteur essentiel. Quand la biodiversité diminue, on fait de l’élevage viral.

Aujourd’hui, on pratique un élevage intensif spécialisé qui menace l’homme et ouvre la voie aux virus. La Commission européenne exige des conditions d’hygiène rigoureuses mais c’est l’interdiction de l’élevage industrialisé qu’il faudrait décréter. On découvre à retardement que maintenir la biodiversité est fondamental. La médecine a pensé que l’avenir dépendait de sa capacité à prescrire des traitements. Si elle avait travaillé en synergie de réflexion avec les vétérinaires, les éthologistes et tous les spécialistes du monde vivant, elle aurait pu anticiper. Aujourd’hui, la médecine humaine arrive comme les carabiniers, après la bataille, et elle n’aura pas le dernier mot.