L’occasion d’aborder la question des violences psychologiques au sein des Églises chrétiennes.
Écouter l’émission Solaé Le rendez-vous protestant (19 mars 2023, présentée par Jean-Luc Gadreau et réalisée par Delphine Lemer).
Jean-Luc Gadreau: La toute-puissance désigne un fantasme d’omnipotence, la croyance d’un pouvoir illimité. Aucun d’entre nous n’échappe un jour ou l’autre à l’expérience d’une confrontation avec un pervers narcissique, orienté dans sa conduite par ce fantasme de toute-puissance, et cette épreuve est toujours douloureuse, parfois dévastatrice pour la dynamique d’une communauté ecclésiale comme pour la santé psychique de ses membres. Quand la toute-puissance humaine s’invite dans l’Église est le sujet de notre émission et le titre d’un livre écrit par Édith Tartar-Goddet, que j’ai le plaisir d’accueillir. Vous êtes connue pour votre grande expertise en psychologie sociale, vous êtes d’ailleurs psychologue clinicienne, psychanalyste, psychosociologue engagée professionnellement et bénévolement dans de nombreuses structures et mouvements au service de l’enfant et de l’adolescent en souffrance. Vous avez travaillé la question et écrit plusieurs ouvrages sur la violence et sa prévention, la gestion des conflits, l’analyse des pratiques pour les personnels dans le cadre des établissements, mais aussi la question de la loi et des limites. Avec votre dernier livre, Quand la toute-puissance humaine s’invite dans l’Église, c’est un regard à l’intérieur de l’Église qui se pose donc. Humaine: la précision est importante il me semble car cette toute-puissance dans l’Église, on l’attend assez logiquement venant du Tout-puissant. Là, il y a un mot en plus.
«Le contraire de la toute-puissance de Dieu»
Édith Tartar-Goddet: Je tenais à cette expression toute-puissance humaine plutôt que perversion narcissique qui est plutôt un terme de type psychiatrique parce que la toute-puissance humaine nous guette tous et je trouvais que c’était intéressant de la confronter à la représentation de la toute-puissance de Dieu. Dans l’imaginaire collectif chrétien, la toute-puissance de Dieu est celle d’un Dieu omnipotent, qui peut tout. Mais je ne crois pas que ça soit la représentation d’un grand nombre de théologiens, qu’ils soient catholiques ou protestants – en tout cas ce n’est pas la mienne. Dieu peut tout mais il ne se donne pas tous les pouvoirs et la toute-puissance de Dieu est une toute-puissance de l’amour, l’amour qui est dans le don, qui est dans la générosité, alors que la toute-puissance humaine va être dans l’asservissement, le contraire de la toute-puissance de Dieu. Je trouvais que ce terme de toute-puissance humaine pouvait parler à des chrétiens.
Jean-Luc Gadreau: Selon vous, peut-on dire que l’Église offre un terreau favorable à l’expression de la toute-puissance humaine? Et si oui, pourquoi?
Édith Tartar-Goddet: Pour travailler dans d’autres secteurs et avoir commencé à travailler cette question de la toute-puissance dans l’école, je m’aperçois que cette question est beaucoup plus complexe dans l’Église et beaucoup plus difficile à traiter parce que les Églises (qu’elles soient catholiques, protestantes ou autres) veulent accueillir l’humain de manière inconditionnelle. On l’accueille tel qu’il est et, du coup, on ne veut pas voir, on ne veut pas entendre quand il commence à dysfonctionner. Il y a donc un terreau favorable à l’expression de la toute-puissance humaine parce qu’il y a des pratiques défensives qui font qu’on ne veut pas la voir. En ne voulant pas la voir, on la laisse s’installer tranquillement, paisiblement. Et quand elle est vraiment installée et qu’on s’en aperçoit, il est très tard et c’est […]