En 1889, au moment où il mettait en place en Allemagne le premier système de retraites au monde, le chancelier Bismarck aurait demandé à un conseiller : « À quel âge faut-il fixer l’âge de la retraite pour qu’on n’ait jamais à la verser ? »

« À 65 ans », lui aurait-il répondu, ce qui fit rire Bismarck puisque lui- même avait alors 74 ans et était toujours aux affaires.

Une espérance de vie en hausse 

N’en déplaise au chancelier, son pronostic était faux. À l’heure actuelle, toutes les sociétés dites « développées » sont confrontées au problème de la retraite. En Occident, l’espérance de vie de la population a augmenté de manière continue. En France, l’espérance de vie moyenne est de 85 ans pour les femmes et de 80 ans pour les hommes. En 2003, il y avait près de 10 500 000 retraités pour environ 15 000 000 en 2022 (source : CNAV).

C’est au pouvoir politique et aux corps sociaux de réfléchir à la manière pratique de mettre en place un système de retraite équitable et équilibré pour chacun et chacune, présent ou à venir. 

À l’inverse de ce mouvement démographique de fond, notre société aime se focaliser sur le « jeunisme » : tout le monde doit être jeune, beau (riche de préférence) et en pleine forme. Hélas ! La réalité est bien différente pour des millions de retraités qui vivent trop souvent près du seuil de pauvreté.

Le débat sur les retraites devra poser la question fondamentale de la dignité de l’être humain. Les grandes religions chrétiennes répondront que l’homme et la femme, créés à l’image de Dieu, sont forcément dignes par essence et par nature. Ce message peut-il être entendu dans une société dite laïque ? Il sera nécessaire dans les débats à venir de donner une autre définition de la dignité, comme par exemple celle que l’on peut retrouver chez Kant : « La personne ne doit jamais être traitée seulement comme un moyen, mais toujours aussi comme une fin en soi. » (Fondation de la métaphysique des mœurs, 1785). Rappel utile à une société où l’homme et la femme sont définis par leur capacité à travailler, comme une « ressource humaine ». Mais l’être humain est avant tout une personne sur les plans juridique, philosophique et religieux. 

La vieillesse n’est pas forcément « un naufrage »…

Un des défis pour nos Églises est d’affirmer que, quel que soit son âge, chacun est digne d’attention et est précieux devant Dieu. Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle a eu cette formule malheureuse, et trop souvent reprise hors contexte, alors qu’il parlait du maréchal Pétain, chef de l’État à 85 ans : « La vieillesse est un naufrage. »

Les théologiens actuels ne peuvent pas faire l’impasse sur une approche théologique de la vieillesse et de sa dignité. Le christianisme appréhende le chemin existentiel de l’être humain de sa naissance à sa mort. Ce n’est pas un chemin linéaire ou en forme de cloche avec une montée jusqu’au climax du milieu de l’existence, puis une descente, inexorable, jusqu’à la fin. Dès lors, la vieillesse n’est vue que comme un sinistre déclin, un préambule à la mort. Mais les trajectoires de vie ne sont pas si simples : « Il y a des marches, des paliers, des plateaux, des rechutes, des renaissances, on monte et on descend en permanence, quel que soit l’âge. Et on peut avoir à 90 ans un dynamisme psychique et une joie de vivre qu’on n’a pas à 20 ans ! La vieillesse n’est pas un effacement de soi, c’est plutôt l’inverse, une crise majeure, un vaste remaniement des pulsions. »*

*Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, auteure de L’art d’accommoder la vieillesse, Odile Jacob, 2022.