De Renan à Braudel, on peut d’abord y répondre en pensant une nation non ethnique, une histoire où nation et État «sont intimement liés, et s’articulent indissolublement». On peut ensuite, plutôt que «nous engager dans des impasses où la Nation perdrait momentanément son âme et sa dignité», choisir un principe d’intégration adapté aux nouvelles réalités et «fondé sur la tolérance», seul moyen de faire naître «petit à petit une identité nationale», de forger «une autre ‘citoyenneté française’».

«Nous doutons trop de ce que peuvent la réflexion, la combinaison savante» 
(Ernest Renan).

Compte tenu des évolutions récentes de l’historiographie, on s’étonnera peut-être de cette citation de Renan (1) en exergue de cette contribution, faisant ainsi référence à un siècle ayant foi en la science, et dont les certitudes n’étaient justifiées que par une confiance en l’avenir. Il faut cependant reconnaître que ce constat pourrait, à bien des égards, concerner notre époque. Tout problème ayant presque toujours une origine intellectuelle, il est parfois fructueux de relire, certes avec recul, ces historiens littéraires et philosophes (Renan, Michelet…). Pas uniquement pour le plaisir mais pour se pencher sur notre temps et l’examiner à défaut de le comprendre, selon un éclairage décalé. Il n’est pas si lointain le temps où nous apprenions: «Une nation est une âme, un principe spirituel» (2). C’est peut-être parce que nous avons encore en mémoire (dans notre mémoire collective) ces sentences qui nous ont inculqué une certaine idée de la nation que nous vivons difficilement notre époque troublée qui remet radicalement en question ces valeurs et ces principes dépassés, appartenant à un âge révolu. Mais au fond, le sont-ils vraiment ?

Songeons par contraste à ce qu’est devenue notre nation, ou aux essais de définitions que nous pourrions en donner, le lyrisme en moins ! Nous serions bien embarrassés ! C’est pourtant sur cet arrière-plan que l’on peut réfléchir à nouveau à la question posée par le premier ministre du moment devant l’Assemblée Nationale: «Qu’est-ce qu’être français ?». Cette question, interprétée comme une manœuvre dilatoire devant des interventions concernant l’éventuelle remise en question du droit du sol et les conditions d’accès à la nationalité française, est au fond la seule qui devrait être posée en priorité avant tout débat à caractère législatif. Car c’est de l’identité et de la conscience nationale françaises dont il s’agit. Cette plaidoirie pour «un débat plus large», nécessaire, était une manière de dire à ses interlocuteurs (les ministres Retailleau et Darmanin) qu’ils doutaient trop de ce que pourraient «la réflexion» et «la combinaison savante», c’est-à-dire la nuance, le «sens de la complexité» et la nécessité d’un vrai débat public (3). Si celui-ci est toutefois possible.

Une volonté de synthèse

En dépit de la globalisation, mais peut-être à cause de celle-ci, on assiste depuis plusieurs décennies à la résurgence de la question inquiète de l’identité nationale. On peut craindre que les tensions permanentes entre reconnaissance des différences, intégration républicaine et héritage culturel ne soient pas subsumées (pensées dans un ensemble) au profit de calculs politiques à court terme. C’est un long travail que la France devrait faire sur elle-même. Pour y voir clair. Voir clair en nous-même, d’abord, et voir clair collectivement. Car nous sommes tous concernés. C’est cette conscience que […]