La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a donné lieu à l’accélération spectaculaire du recours au numérique (c’est à dire aux techniques informatiques de codage de l’information) et, plus encore, au digital, à savoir à l’utilisation du numérique à des fins de communication et de relation à distance.

Ainsi, le recours massif aux achats en ligne, à la prise de rendez-vous et aux démarches administratives par internet, à la visioconférence, ou encore au télétravail – entre autres. Souvent, les commentaires critiques que cela a suscités jusqu’ici se concentrent sur la fracture numérique qui oppose les utilisateurs familiers du numérique à ceux que ce dernier rebute, du fait des difficultés d’accès qu’ils rencontrent: coût d’acquisition des équipements, capacité à s’en servir, problèmes de réception en zones blanches, etc.

Ces nouveaux illettrés

Le néologisme d’illectronisme désigne ces nouveaux illettrés que sont, ou seraient, les personnes ne bénéficiant pas du bagage minimal permettant de faire face à l’utilisation de ces techniques dans la vie courante. Tout se passe donc comme si le problème se résumait à une injustice et à un retard, étant présumé acquis que la digitalisation de la société est un bienfait et que sa venue doit être accélérée. Dans le même mouvement, on perçoit chez les utilisateurs une réaction de condescendance, voire de stigmatisation, face aux comportements réticents à l’égard du digital. À leurs yeux, ces réserves relèveraient d’un passéisme, voire d’une mauvaise volonté, le digital présentant tous les avantages de la facilité, de la commodité, de la rapidité, vertus annonciatrices d’une vie meilleure. Comment pourrait-on se refuser à cet avenir radieux?

Cet enthousiasme et ce jugement un rien expéditif renvoient à un rapport conformiste à la norme sociologique, qui transforme les tendances majoritaires en normes quasi-obligatoires, sans se soucier outre mesure du sort des minoritaires et des motifs légitimes qui les animent. Il y aurait lieu pourtant de s’interroger sur la moderne croyance en la capacité des techniques à avoir réponse à tout, ce «solutionnisme technologique» que dénonce l’essayiste Evgeny Morozov (1). Tout accroissement des moyens ne devrait-il pas s’accompagner, au contraire, d’une réflexion sur les responsabilités qu’ils nous créent? C’est ainsi, par exemple, que l’institution du Comité consultatif national d’éthique, en 1983, est issue des questionnements ouverts par la fécondation in vitro en France à cette […]