Ce livre, dont la parution est récente (novembre 2020), n’a pas reçu, à mon avis, l’écho qu’il mérite. Faut-il s’en étonner ? Non. Il parle de prison et ce n’est pas un sujet vendeur. En France, au XXIe siècle moins on parle de la prison mieux on se porte.
Pourtant les « prisonniers » ne font-ils pas partie intégrante de notre société ? Quelle différence avec la perception qu’en a une danoise rencontrée par un des auteurs du livre. En réponse à la question posée par ce dernier sur ce qu’elle pensait de la prison dans son pays elle déclarait : « But you know Sir, we just try to make people better » ! (2)
Il ne s’agit pas de se flageller une fois de plus en proclamant que nous français sommes toujours les derniers de la classe, ou de se comparer aux autres. Les auteurs connaissent bien les freins et les conditions socio-économiques de notre pays. Mais Ils sont allés voir ailleurs pour s’inspirer de ce qu’il est possible de faire et de commencer au minimum à l’appliquer chez nous.
Mais qui sont les auteurs ?
Le collectif Walden
C’est un think tank qui regroupe différents acteurs du monde carcéral. La vice-procureur de la République Jessica Vonderscher, à l’initiative du projet et qui a dirigé l’étude et la rédaction, a réuni un large éventail de professionnels : juge d’application des peines, directeur des services pénitentiaires, officiers pénitentiaires, entrepreneurs, conseillère de probation et d’insertion, avocate, responsable de formation AFPA, conseillère Pôle emploi Justice, … quinze personnes au total qui affirment toutes et tous, sans exception, dans leur conclusion encadrée par ces deux phrases :
« Nous avons essayé pendant des décennies de jouer toujours la même carte : celle de la répression sécuritaire. Le résultat est sans appel : 60% de récidivistes à la sortie de la prison et une inflation galopante de la population carcérale…
…Monsieur le Ministre, il y a urgence à remplacer la défiance par la confiance et à miser sur l’humain pour imaginer cette administration qui pourra enfin remplir sa mission : protéger la société ! »
Les témoignages des auteurs
Si j’ai choisi de commencer…par la conclusion c’est que les deux phrases citées me semblent parfaitement résumer l’état d’esprit qui anime chaque membre du groupe. Aucun ne remet en question l’existence de la prison, mais ils rappellent que la double mission de l’administration pénitentiaire est de : Protéger la société et réinsérer les délinquants et criminels
Et pour eux ce diptyque est indissociable car l’absence de réinsertion ouvre les portes à la récidive (les chiffres le prouvent) dont le corollaire est la mise en échec de la mission de protection de la société.
Ils ajoutent par ailleurs un élément essentiel, qui revient dans chacun de leur partage d’expériences : miser sur l’humain. Car pour eux l’humanité est absente de l’univers carcéral. Non pas parce que les surveillants se comporteraient en véritables matons (si le phénomène existe il reste très marginal), bien au contraire ils souhaitent que leur condition d’exercice soit améliorée et leur statut revalorisé en leur confiant une véritable mission d’accompagnement des détenus dont ils sont les professionnels les plus proches.
Non l’inhumanité réside d’abord dans les conditions de vie (surpopulation des maisons d’arrêt où sont détenues les personnes non encore jugées), dans le rythme de vie en détention où les détenus sont infantilisés sans responsabilité aucune (pas de repas à préparer, pas de linge à laver, reclus 22 heures par jour dans une oisiveté complète), dans la difficulté à rester en lien avec le monde extérieur dans lequel ils devront retourner (difficulté à garder le contact avec leur famille, leurs enfants, difficulté à chercher un travail pour la sortie, …).
En résumé la prison reste presqu’exclusivement une punition et non l’occasion de mettre à profit ce temps d’arrêt, dans une vie souvent déjà perturbée, pour apprendre un savoir-être en société. Au lieu de cela « la prison est un temps mort qui fabrique des poids morts » relève le responsable de formation AFPA. Et une conseillère de probation et d’insertion renchérit : « Le système n’est pas cohérent. La réinsertion est affichée comme le premier objectif mais on ne donne pas les moyens à la personne, ni aux professionnels qui exercent en prison. En plongeant quelqu’un dans un univers violent, en le laissant seul face à ses difficultés, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il puisse avoir des relations sociales normales en sortant ».
C’est l’humain qui devrait être la clef de voûte du système. « Quand un enfant vole un vélo ce n’est pas au vélo qu’il faut s’intéresser mais à l’enfant et aux raisons qui l’ont poussé à agir. Quel que soit l’âge l’infraction est toujours un symptôme et tant que nous ne connaissons pas le symptôme il nous est impossible de trouver la peine adaptée » écrit Jessica Vonderscher.
A l’issue de cette étude et de la réflexion qui l’a poursuivie le collectif a produit 70 propositions pour mieux réinsérer. Elles sont réparties en 7 chapitres dont je vous soumets les titres et en illustrant chacun d’une des 10 propositions qu’il contient :
Décloisonner et jouer collectif
Proposition 08 : Faire du taux de récidive un élément d’évaluation de tous les services (judiciaires et pénitentiaires).
Rendre le détenu acteur de son changement
Proposition 14 : Normaliser la vie en détention en créant un rythme de vie proche de l’extérieur.
Lever les freins périphériques à l’emploi
Proposition 24 : Travailler les bases fondamentales de la vie en société notamment au regard des savoir-être.
Faire entrer le numérique en détention
Proposition 36 : Permettre l’accès aux formations et enseignements en ligne.
Mieux former pendant l’exécution de la peine
Proposition 41 : Evaluer le besoin en formation générale et professionnelle de chaque détenu à son entrée en détention.
Développer le travail en détention pour mieux réinsérer
Proposition 53 : Garantir l’attractivité financière des ateliers pénitentiaires à l’instar des établissements de service et d’aide par le travail (ESAT).
Sécuriser le retour à l’emploi une fois libéré
Proposition 70 : Confier au personnel pénitentiaire l’octroi des permissions de sortir (actuellement décidé par le judiciaire) permettant d’effectuer des démarches de recherche d’emploi pour améliorer la réactivité.
Les fonctions exercées par les auteurs et le très large panel qu’ils représentent donnent une grande légitimité à l’analyse présentée et aux propositions qui en sont le fruit. Si magistrats et membres de la pénitentiaire arrivent aux mêmes conclusions et aux mêmes solutions après avoir collaboré qu’attend donc le pouvoir politique pour enfin les écouter ? Si la réponse est : « les ressources budgétaires ne permettent pas de mettre en œuvre les solutions proposées », elle est inacceptable. N’est-ce pas le rôle premier du pouvoir politique d’arbitrer les affectations budgétaires ? La priorité n’est-elle pas de construire une société toujours plus humaine qui s’efforce de ne laisser personne au bord du chemin ?