Dans le gymnase du domaine Emmanuel qui accueille la célébration, je m’installe à côté de Marc. Il me gratifie d’un beau sourire et traverse la salle précipitamment lorsqu’il apprend que je fais un reportage. Quelques instants plus tard, le revoilà : ses amis sont d’accord pour être interviewés. Et lui ? Marc me susurre : « Je suis aux Servins avec des schizophrènes mais moi, je suis épileptique. » À Corinne, qui le salue, je l’entends confier qu’il n’a pas trop le moral. La jeune femme l’encourage : « Il faut être dans la joie ! »

Une joie immense

Elle est joyeuse, Corinne. Pendant la célébration, elle rejoint les musiciens et se met à danser. Je me laisse gagner par sa gaieté communicative. Je pense au roi David dans son pagne de lin qui saute et tournoie devant l’arche de l’alliance et me demande s’il y a des Mikal dans la salle (2 Samuel 6.14-16). Un rapide coup d’œil autour de moi. Non, aucune. Si Marc, Corinne et tous les autres sont aussi épanouis, c’est parce qu’ici, on les aime comme ils sont. Corinne ne s’encombre pas des qu’en-dira-t-on et elle a bien raison. Elle a de la chance, Corinne.

Au micro, Sami explique qu’il est au foyer des Roseaux depuis un an et demi. Musulman « très ouvert », il a rejoint l’aumônerie où il chante, prie et discute avec ses amis. Quand Étienne, bénévole à l’aumônerie, exhibe devant l’auditoire une branche de chêne et un roseau, Marc, à ma droite, mentionne La Fontaine aussitôt. On est tous parfois des chênes, et parfois des roseaux. Tous différents mais tous aimés du Père. Elle est joyeuse, Corinne. Il a de la culture, Marc.

Au micro, Frédéric Weiss, chef de service, est reconnaissant pour son travail à l’AEDE depuis vingt-six ans. Dans la salle, tous sont reconnaissants aussi, pour leur santé, les repas, l’amour, les amis, la famille, les vacances. Chacun choisit une image qu’il dépose, comme une prière, dans un joli panier. On entonne un dernier chant : « Je suis dans la joie, une joie immense. » Le hit du moment.

Sagesse et discernement

Dans le très grand groupe qui randonne, je marche à côté de David. David travaille aux espaces verts et voit la vie en rose. Il aime tailler les arbustes de Disneyland, faire du karaté, écouter de la musique, jouer du cajón à l’Église. Il aime aussi sa petite amie qu’il espère épouser mais « il ne faut pas précipiter les choses ». Elle est joyeuse, Corinne. Il a de la culture, Marc. Il est sage, David.

En regagnant le gymnase métamorphosé en restaurant étoilé pour les quatre cents convives, je m’interroge : que signifie AEDE ? Le A, c’est peut-être aimer, le E encourager, le D dissiper : les a-priori, les préjugés.

Joël Haldemann ne me met pas sur la piste. Quand le président rend hommage à ceux qui ont accueilli les premiers enfants en situation de handicap en 1954, je pense à tous les Marc, les Corinne et les David accompagnés pendant ces soixante-dix ans. Et je suis émue. Bien sûr, il y a eu des défis à relever, des tempêtes à traverser, mais l’association s’est développée grâce à la détermination des fondateurs, l’engagement des bénévoles, le soutien des familles. Et le sourire des résidents. Avec vingt-neuf établissements, un millier de salariés et mille cinq cents personnes accompagnées, elle est aujourd’hui un acteur incontournable dans le paysage médico-social français.

Au fait, AEDE, ça veut dire Association des établissements du domaine Emmanuel, je suis presque déçue. Mais bigrement heureuse d’avoir été invitée à ce bel anniversaire.