Dans son livre-enquête Les Fossoyeurs, Victor Castanet mettait au jour le scandale des Ehpad Orpéa. Cette fois, le journaliste s’est penché sur les dérives de crèches privées. Intitulé Les Ogres : révélations sur le système qui maltraite nos bébés, l’ouvrage paraîtra mercredi 18 septembre. Partant des infractions relevées au sein du groupe People & Baby, qui fait figure de mouton noir du secteur, il met en évidence les déviances largement soutenues par l’argent public. BFMTV a consulté des passages en avant-première.

Victor Castanet dénonce, par exemple, la prise en charge « low cost » des enfants dans certains établissements privés. Cette tendance a émergé « aux alentours de 2010 ». Elle « a entraîné une diminution du nombre de professionnelles dans de nombreuses crèches. Or, moins de personnel signifie des conditions de travail et une qualité d’accueil des bébés dégradées », estime l’auteur. Des propos qu’il prend le soin d’illustrer par des exemples concrets aux quatre coins de la France.

« Dégoûté par leurs pratiques »

Dans son enquête, le journaliste pointe également du doigt un système de surbooking. Comme le font certaines compagnies d’aviation avec les passagers, des crèches privées n’hésitent pas à inscrire plus d’enfants qu’elles ne peuvent en accueillir. Tout au long de l’ouvrage, le nom du groupe People & Baby revient régulièrement. Parmi les géants du secteur, son fondateur et président Christophe Durieux a été évincé en avril dernier. « Je me suis rendu compte que des agents de puériculture faisaient plus de huit heures d’affilée avec les enfants, sans pause », témoigne un ancien cadre du groupe, sous couvert d’anonymat. « Dégoûté par leurs pratiques », il a quitté son emploi « après avoir tapé, vainement, du poing sur la table ». Selon lui, ses « rapports servaient avant tout à obtenir des subventions publiques pour réaliser des travaux dans les crèches ».

Des comportements inappropriés sur des enfants sont également dénoncés. Comme ça a été le cas dans une crèche de Villeneuve-d’Ascq, dans le Nord. « Lorsque des familles ou des salariées ont tenté d’alerter le siège de People & Baby, elles se sont heurtées à un mur de silence. (…) Plus grave, les auxiliaires de puériculture qui ont tenté de tirer la sonnette d’alarme ont été sanctionnées. »

Réduire les coûts

Ces dérives seraient le fruit de la mise en place de la « politique volontariste de Christian Jacob, alors ministre de la famille » en 2004, écrit Victor Castanet. « Face au manque criant de berceaux, (le ministre) a pris la décision de ‘booster’ le secteur en instaurant des subventions de financement aux opérateurs privés ainsi qu’une déduction fiscale aux entreprises souhaitant proposer des places à leurs salariés », ajoute-t-il.

Des maires ont alors « jugé judicieux de faire appel à des sociétés dont la petite enfance était le cœur de métier », afin de leur confier la gestion des crèches, afin de faire baisser les coûts. Pour ne rien gâcher, « alors qu’une mairie, soumise au code des marchés publics, met entre trois et cinq ans pour créer une nouvelle structure, les gestionnaires privés sont capables d’être opérationnels en moins de six mois », complète le journaliste.

Un groupe évincé de la fédération

Celui-ci a fait une autre découverte de taille. Il a constaté que le groupe exploite le crédit d’impôt famille, une « niche fiscale » qui « permet aux sociétés de déduire de leurs impôts 50% du prix du berceau« . Pour cela, elles gonflent le prix d’un berceau, celui-ci n’étant pas plafonné par l’État. Pour parvenir à ses fins, People & Baby « cible les beaux quartiers, où les loyers sont chers et où l’on trouve des profils aux rémunérations élevées », explique Victor Castanet. La manœuvre permet au groupe privé de bénéficier de revenus plus importants, aux dépens de l’argent public.

De son côté, la Fédération française des entreprises de crèches assure « condamner avec la plus vive fermeté les pratiques scandaleuses révélées qui méprisent les valeurs de notre profession et l’intérêt supérieur des enfants accueillis ». Dans un communiqué publié lundi, elle insiste sur le fait que le groupe People & Baby a été évincé de la fédération il y a treize ans. « Nous assurons aux familles que les 28 000 professionnels de nos entreprises n’ont comme guide que la qualité de l’accueil de leurs enfants », affirme-t-elle.

Un engagement à « agir sans délai »

La fédération ajoute que « si les faits relatés dans cette enquête journalistique devaient avoir des suites judiciaires, nous nous y associerons afin de soutenir les victimes et de défendre l’honneur et les intérêts de l’ensemble des femmes et hommes qui s’investissent chaque jour dans nos crèches pour le bien-être des jeunes enfants ».

Joint par BFMTV, la direction de People & Baby assure prendre « ces révélations extrêmement au sérieux ». « Nous nous engageons à agir sans délai pour corriger tout dysfonctionnement qui pourrait être identifié et garantir que notre organisation fonctionne selon les plus hauts standards de qualité et d’éthique », poursuit celle qui dit s’être engagée à mettre en place des « audits indépendants ».