La fin d’une longue peine de prison n’est pas toujours facile à vivre.

Le choc carcéral est un état psychologique bien connu qui correspond à un état d’angoisse aigue, suscité par l’emprisonnement. Bien moins connu, car il est contraire à l’idée que la sortie de prison est vécue comme un soulagement, le choc de la libération peut être tout aussi problématique pour certains détenus. Ce choc se manifeste pour des détenus condamnés à de longue peines, et dont l’équilibre de vie a été radicalement modifiée par l’acte qu’ils ont commis ainsi que par la longueur de la peine. A tel point que certains d’entre eux ont perdu tous leurs repères à l’extérieur et ne savent plus comment ils pourront reprendre une vie ordinaire à leur libération.

« Pourquoi je sortirais ? », demande Hervé âgé de cinquante-sept ans, « dehors, je n’ai plus rien, j’ai tout perdu ». Condamné pour le meurtre de son épouse et son amant, il va bientôt sortir après quatorze ans de détention. Ses deux fils ont coupé tous les liens avec lui, sa fille lui écrit de temps à autre. Son père est décédé il y a peu de temps, il n’a plus de contact régulier qu’avec sa mère.

« Je vais faire quoi dehors ? j’étais ingénieur en informatique, mais depuis, je n’ai plus le niveau. On m’a proposé une formation dans la cuisine, mais aucun restaurant ne voudra de moi à mon âge. Je ne veux pas être une charge pour ma mère, elle est âgée et malade, mais j’ai dû vendre mon appartement pour payer les avocats et les parties civiles. »

Maintenant que la sortie s’approche, il a des troubles du sommeil de plus en plus fréquent et demande régulièrement une prescription de somnifère. Ne se sentant pas prêt à affronter le monde extérieur, il a refusé tous les aménagements de peine, toutes les sorties de permissions accordées pour une préparation à la sortie, car il craint de ne pas pouvoir se reconstruire une nouvelle vie.

Un choc extrême de la libération comme celui de Hervé reste relativement rare. Les formes atténuées sont beaucoup plus fréquentes, mais elles restent néanmoins problématiques.

« Je ne voulais pas sortir tout de suite, c’est bientôt Noël, et je voulais le passer avec mes copains »

Jacques a la mine défaite et fond en larmes quand il m’annonce qu’il va être libéré dans la semaine. Il n’a pas encore trente ans, et va bientôt être libéré après avoir passé une dizaine d’année en prison, pour une affaire de mœurs. Pourtant, ses années n’ont pas été de tout repos. En particulier, il avait subi des sévices peu de temps après son incarcération, une forme de représailles de la part des autres détenus, qui ont voulu le punir à leur façon des actes qu’il avait commis. Jean a également été condamné à une peine de dix ans et va bientôt sortir. Il est jovial, apparemment insouciant, ne se plaignant pas de sa détention. Au contraire, il n’a pas particulièrement envie de retrouver la liberté, parce qu’en prison il est « logé, nourrit et a des potes ».

S’y habituer

Contre toute attente, il s’est habitué à la prison, car il y a trouvé une certaine forme de convivialité qu’il recherchait avant d’être incarcéré :

« Avant, quand ma femme me demandait d’aller chercher le pain, je pouvais rentrer trois jours plus tard parce que j’avais rencontré des potes dans un bar »

Le choc de la libération s’explique par le fait que la prison n’est pas que coercitive, mais est aussi une institution nourricière qui veille aux besoins essentiels des détenus, ce qui les rend dépendant d’elle pour chaque geste du quotidien. Le milieu carcéral est un monde où tout est minutieusement réglé et organisé, par souci de sécurité. Horaires du levé, des repas, des douches, des promenades, jours fixés d’avance pour les parloirs, les formations, les (beaucoup trop rares) activités culturelles : tout est organisé selon un agenda, qui ne laisse place à aucune improvisation, aucune fantaisie. Cette incapacité à prendre des initiatives est l’une des principales raisons du fait que, peu à peu, le détenu perd toute habitude de se débrouiller par lui-même, ce qui va générer cette angoisse face à sa sortie définitive.

Comme l’a écrit le sociologue Erving Goffman, la prison est une « institution totale », dont le but est prendre en charge chaque aspect du quotidien des personnes concernées, en ne leur laissant aucune place pour des initiatives concernant leur vie privée.

Cette institution totale carcérale présente un certain nombre de caractéristiques :

Une coupure du monde et de l’environnement extérieur
La prise en charge de tous les besoins matériels (alimentation, hébergement, hygiène)
Un contrôle et une limitation des contacts entre le personnel et les personnes concernées
La limitation, allant parfois jusqu’à la suppression, de toute forme d’intimité (ouverture du courrier, surveillance des parloirs, fouilles des cellules à l’improviste, parfois fouilles au corps)
Autant de caractéristiques qui ont pour effet d’infantiliser la personne, et de la soumettre sans condition à une institution qui remplit toutes les fonctions maternantes, pour mieux le contrôler. Etant maintenu dans un environnement sévère mais tout-puissant, le détenu se retrouve infantilisé, et perd toute autonomie dans son quotidien, comme le montre l’incapacité de Jacques et de Jean à se détacher des liens affectifs noués en détention. Ayant perdu toute ses capacités d’adaptation en détention, le détenu aura d’autant plus de difficultés à se réinsérer à l’extérieur, et subira parfois, comme Hervé, le choc de la libération.